En vos mots 799
L’enveloppe est-elle vide ou si elle contient toujours la lettre adressée à celle qui l’a laissée sur la table? À vous de faire vivre cette scène imaginée par l’artiste ukrainienne Olena Korolyuk,
Aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc amplement le temps de lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier et d’écrire quelques lignes. C’est avec plaisir que nous vous lirons dans sept jours.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
C’est une de ces histoires qu’on ne transmet que par la voix. De génération en génération. Depuis les années 1940.
Elle s’appelait Marie Rose. Certains, familiers, disent Marie. D’autres, tout aussi familiers, ont choisi Rose. Mais quelle importance?
Personne ne se souvient plus vraiment de quand elle est apparue dans le village pour la première fois. Tous, émus, racontent, les yeux brillants, la dernière fois qu’ils l’ont vue. S’en aller sans se retourner.
Elle était liseuse. Au début, elle était venue dans le village pour lire des histoires aux enfants. Pour leur faire oublier la guerre. Le dimanche matin.
Puis, de fil en aiguille, pour rendre service, elle a lu une lettre par ci, un autre par là. Pour faire plaisir, aux gens du village qui n’avaient jamais appris à lire.
La nouvelle ayant voyagé de foyer en foyer, Marie Rose a fini pour passer une bonne partie de ses dimanches à leur lire le courrier.
Elle connaissait ainsi les peines et les joies de chacun. Les événements heureux, les maladies inavouables, les départs au front et les larmes des faire-part. Chacun était, en quelque sorte, devenu un peu de sa famille. Souvent, elle y répondait aussi au courrier.
Grand-père disait, amusé, qu’à cette époque tous les gens du village avaient la même écriture. Celle de Marie Rose.
Puis, un dimanche de printemps. Elle s’en est allée. Pour ne plus revenir. On l’a attendue. Tant attendu. Mais…
Grand-père me disait aussi, les larmes aux yeux, que même les cœurs les plus endurcis se sont cachés pour pleurer son absence et qu’il n’aurait jamais pu imaginer que quelqu’un d’aussi frêle puisse laisser un si grand vide.
Dire que si elle savait tant de chacun, personne ne savait d’elle que son nom, qu’elle avait une voix douce. Apaisante. Un sourire triste. Et qu’on l’appelait Marie Rose.
Cette histoire, je la tiens de mon grand-père. Lui-même l’avait héritée du sien, disparu à Auschwitz quelques jours avant noël 1943.
Et cela me suffit pour y croire.
Comment by Armando — 17 août 2022 @ 3:59
Elle ne l’enverrait pas, cette lettre.
Elle la laisserait juste posée là.
Avec l’enveloppe restée ouverte,
Pour qui y aventurerait ses pas.
Cette missive à elle-même,
Elle ne l’emporterait pourtant pas.
Que la découvre celui ou celle
Pour qui ce message résonnera.
Elle a pris plaisir à l’écrire.
Désormais il ne lui appartient plus.
Il sera à qui voudra le lire.
Et elle s’éloigne dans la rue.
Comment by anémone — 20 août 2022 @ 6:52
Elle aime prendre un café dans ce bar, surtout quand il fait beau et que des tables sont installées sur la placette.
Elle s’y pose un quart d’heure, juste le temps qu’il faut avant de retourner au travail.
Mais vous qui connaissez la vie, vous vous doutez bien qu’autre chose encore que le café l’y attire et l’y fait revenir presque quotidiennement: le grand gars qui le lui sert, toujours souriant, toujours gentil, toujours un mot pour la faire rire.
Voilà, vous avez compris.
Après, ça devrait couler de source, un mot en amenant un autre, de sourire en sourire, de jour en jour…
Mais non.
Le gars est-il timide?
La croit-il inaccessible?
C’est trop bête, s’est-elle dit ce matin-là, je vais lui laisser un mot, on verra bien.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait et en s’éloignant d’un pas qu’elle voulait tranquille et souple, elle avait la tête qui bourdonnait si fort qu’elle n’a pas entendu la voix qui criait:
– Mademoiselle! Mademoiselle! vous avez oublié quelque chose!
Las! las! ce n’est pas le grand gars rieur qui a ramassé l’enveloppe, mais sa collègue.
Comment by Adrienne — 10 septembre 2022 @ 6:41