En vos mots 272
C’est une scène croquée par l’artiste Heather Neill, de Pennsylvanie, que je vous offre en ce dimanche. Une scène pour le moins inusitée ou un moins suffisamment originale pour vous inspirer quelques mots. Libre à vous maintenant de choisir la forme et le ton, et de nous livrer en vos mots ce que la toile de ce dimanche a évoqué.
Les commentaires seront validés au moment de l’accrochage d’une nouvelle toile, dans sept jours. Mais vous avez à lire d’ici là : les textes déposés sur la toile du 17 juin viennent tout juste d’être validés.
Bonne lecture, donc, et à dimanche prochain pour la suite!
Il repassait rarement ses chemises. Trop compliqué et trop dispendieux en temps. Pour les retrouver tout de même froissées au premier mouvement.
Mais lire un quotidien aux pages fripées lui était insupportable.
Alors, chaque matin, avant sa lecture, un premier rite était le fer.
Le rituel initial, à vrai dire, si l’on excepte l’habillage après ablutions, était plutôt le thé, dont il dégustait une première tasse pour accroître le plaisir du repassage.
Il aplanissait le texte et les images. S’efforçant de ne pas encore lire les entrefilets.
Du contenu, il voulait se réserver la surprise, pour que subsiste ensuite tout le délice de la découverte, quand bien calé dans son rocking-chair, le reste du breuvage à petites gorgées se répandait dans ses veines avec volupté.
Le journal lisse à souhait, et encore un peu chaud, se trouvait alors en état de lui apporter dans un confort total et indiscutable des nouvelles souvent peu amènes, sans que puisse se plisser son front ni se dessiner la moindre ride d’amertume aux coins de ses lèvres.
Comment by Anémone — 24 juin 2012 @ 14:27
Edgard.
Chaque matin, depuis quarante ans qu’il est à son service, Edgard repasse le journal de Monsieur, avant de le lui monter dans son bureau.
Monsieur aime consulter les nouvelles sans être gêné par les plis du journal qui, parait-il, parasitent sa lecture.
Edgard s’applique à procurer à Monsieur, ce qu’il demande, en toutes circonstances.
Le thé du matin servi brûlant, dans sa chambre, accompagné de deux toasts beurrés, sans confiture.
Le café amené à treize heures pile dans le bureau avec le journal repassé et le courrier qui vient juste d’être distribué.
Le thé de dix-sept heures, servi dans le petit salon. Avec une petite goutte de whisky versée dans le fond de la tasse, discrètement, en cachette de Madame.
Mais aussi les petits billets et les présents à l’attention de Mademoiselle Lola, danseuse au « Blue Moon », cabaret où monsieur se rend tous les mercredi soirs alors que Madame le croit à sa partie de bridge chez Monsieur Georges.
On ne connaît pas à Edgard de vie privée. On ne lui connaît aucune autre occupation en dehors du service de Monsieur. Il habite dans deux pièces au-dessus du garage, il y passe tous ses loisirs et ses jours de congé.
Il vit sa vie par procuration à travers celle de Monsieur.
L’hiver, le ski à Aspen, l’été à Cape Code. L’épouse de Monsieur, les maîtresses de Monsieur, les enfants de Monsieur et le travail de Monsieur…
Monsieur est courtier en bourse. Edgard l’écoute, depuis des années, passer ses ordres, depuis le bureau où dans la voiture. Il a grande confiance dans les capacités et le jugement professionnels de Monsieur.
Quand Monsieur achète, Edgard achète. Quand Monsieur vend, Edgard en fait autant. Depuis quarante ans, Edgard a consacré plus de la moitié de ses gages à ces transactions et il est aujourd’hui à la tête d’une confortable fortune qui vaut presque celle de Monsieur.
Il possède, outre un important portefeuille, des immeubles à New-York et Miami, des propriétés à Aspen et Cape Code où il ne met jamais les pieds et qu’il loue. Il s’évertue envers et contre tout à demeurer au service de Monsieur, qu’il assure du mieux qu’il peut, du moins tant que Monsieur veut bien le garder.
Comment by Mamido — 25 juin 2012 @ 8:25
C’est en repassant le journal de Monsieur, pour que l’encre ne salisse pas ses mains, que je suis tombé sur son regard. Je l’aurais reconnu mille ans après. D’ailleurs, combien de temps a-t-il passé déjà? Si pas mille ans, on ne devrait plus en être tellement loin.
C’était un matin de février. Pareil à tant d’autres matins. Elle si petite qui pleurait sa faim. Il faisait gris. Il faisait froid. J’ai eu peur. Je marchais tête basse, sans aucun destin. Sans aucun but. Sans aucun espoir. C’était comme une absence. Une dérive. Un calvaire. Une insupportable souffrance. J’avais honte. Je n’étais personne. Je marchais tête basse, sans aucun destin. Sans aucun but. Sans aucun espoir. Alors, je suis parti m’acheter des allumettes. Le trou noir.
Puis, j’ai trouvé ce travail chez Monsieur. Homme à tout faire. Le couvert. Un toit. Un lit chaud. Puis, les années ont passé. Vite. Trop vite.
Certes, j’ai souvent eu honte de moi. J’ai pensé revenir. Demander pardon. Mais à quoi bon. La peur de m’expliquer. De déranger. D’ouvrir de plaies. La certitude qu’on m’avait oublié. Le temps passe. Elle a grandi. Elle m’a surement oublié. Puis, c’était mieux ainsi. Après tout, on ne refait pas sa vie.
Et là. En repassant le journal de Monsieur, pour que l’encre ne salisse pas ses mains, je suis tombé sur son regard.
Comment by Armando — 28 juin 2012 @ 18:48
Tiens, tiens, même dans ce temps-là on repassait les nouvelles à outrance!
Ça alors, rien n’a changé…
Comment by Jean Conclus — 1 juillet 2012 @ 6:04
Et si l’on se mettait, tout d’un coup, à repasser, chaque matin, le journal de l’Homme de notre vie !
Ah! Le journal de l’homme! Que dis-je, les journaux de l’homme! Très vite, ils encombrent la table ronde, les chaises, le buffet où trône la télé, la chaise qu’affectionnent les chats quand il s’agit de « faire leurs griffes », l’armoire de la machine à café, la table du salon, celle du jardin, il y a des morceaux de Soir partout, des Points, des Express, des télémousses, des Paris Flash, des numéros spéciaux, des grandes découvertes, des reines d’Angleterre, des hommes qui quittent leur star de femme et des femmes qui quittent leur star de mari…
Oui, si je repassais un peu tout ça, pour faire un feu joyeux de tout ce papier et que le fer, finalement, passe à travers la pelure, l’encre d’imprimerie, qui tache les doigts, l’épaisseur de tissus et de molleton de la table à repasser, le treillis, et puis! Tac! Tac! Tac! Psscchhht! Le carrelage, la terre sous la maison, tout, tout, tout, jusqu’au centre de la planète, rien qu’un fer à repasser branché, qui aurait mis le feu au monde entier…
Quand je le disais que nous vivons sur une poudrière !!!
Comment by Pivoine — 1 juillet 2012 @ 9:27
Juste pour savoir: Comment peut-on faire des commentaires sur les commentaires. Par exemple, à Pivoine ou à Anémone combien j’apprécie leurs textes, au fil des semaines depuis que je les lis. A Armando, aussi.
Comment by Mamido — 4 juillet 2012 @ 12:27
Mamido,
Cette fonction n’existe pas avec ce modèle (la machine à écrire) de WordPress. Et je tiens à ce modèle qui n’a jamais changé en six ans et demi!
Il faut donc laisser un nouveau commentaire sur le billet (et non pas un commentaire sur un commentaire) dans lequel tu pourras préciser à qui tu t’adresses.
Comment by Lali — 4 juillet 2012 @ 12:50