En vos mots 244
Tant de livres ouverts devant elle et cette avidité dans le geste, dans le regard. Que cherche-t-elle? Qu’attend-elle d’eux? C’est vous qui nous le direz. En vos mots. Comme vous le faites semaine après semaine.
Il ne manque qu’eux pour que la lectrice de l’artiste de William Verplanck Birney se mette à vivre.
Suite dans sept jours alors que tous les commentaires seront validés en bloc. D’ici là, bonne dimanche et bonne semaine à tous.
Il y avait dans la maison de mon grand-père un lieu où personne d’autre que lui n’avait droit d’entrer. Chaque fois qu’il sortait ou qu’il entrait dans cette pièce, il avait la précaution de fermer à clé. Avec un soin tout particulier. On aurait dit qu’il caressait la serrure. De peur de lui faire mal. De l’abimer.
Un jour, je n’avais pas encore douze ans, je me souviens, j’ai trouvé le courage de lui demander : « Dis, grand-père c’est quoi que tu gardes dans cette pièce?… » Je me rappellerai toujours du sourire tendre et lumineux de ma grand-mère regardant grand-père avec cette tendresse qu’on ne retrouve que dans les tableaux d’Emile Vernon. Grand-père a serré mes joues de ses mains forgées par le temps, en murmurant : « Mais qu’elle est bien curieuse ma petite-fille adorée. C’est mon jardin secret! ». Et il s’en est allé en riant. Heureux.
Je n’ai jamais réussi à tirer un mot de grand-mère et à vrai dire, cette pièce a hanté le sommeil de mes nuits, bien au delà de tout ce qu’on peut imaginer.
C’est lors de la lecture du testament que l’huissier de justice m’a remis une lourde enveloppe. Rien d’autre. Il y avait écrit à belles lettres « Pour ma petite-fille adorée. » » Puis à l’intérieur une clef. C’est tout. L’huissier de justice s’est justifié en disant qu’il ne savait pas à quoi pouvait correspondre cette clef. Il se disait confus. Il a encore relu le texte du testament et s’est excusé de n’y trouver aucune justification ou allusion à cette clef.
J’ai regardé grand-mère en silence. Complices. Et nous sommes entrées à pied à la maison. Main dans la main. Sans dire un mot. De temps en temps on se regardait et grand-mère me souriait. J’ai compris qu’elle savait tout au sujet de cette clef et que je devrais le découvrir par moi-même.
J’ai ouvert la porte en tremblant, sous le regard de grand-mère. À l’intérieur, plus de livres que je n’en pourrais lire durant toute mon existence. J’ai parcouru les titres sans compter le temps. Confuse et émue.
C’était donc là, dans ce jardin secret, que grand-père venait cueillir, au fil des saisons, les histoires magiques et tendres qui ont ensoleillé les pages heureuses du livre de mon enfance.
Comment by Armando — 11 décembre 2011 @ 9:04
La toile est magnifique, merci Lali.
Comment by Tania — 12 décembre 2011 @ 3:37
IN MEMORIAM
Tous ces vieux livres, cette vieille paperasse,
Cette rose tombée à côté de son vase,
Cette plante qui se meurt lentement dans son coin
Et ces mots qui s’inscrivent dans un passé lointain.
Ce décor vieillot dans une sombre place
Rappelle à sa mémoire quelques moments de grâce.
Flairjoy
Comment by Flairjoy — 16 décembre 2011 @ 7:59
Elle parcourt, avide, et émerveillée le grand recueil aux feuillets jaunis par le temps. Depuis qu’elle en rêvait. Et voilà, oui la voilà aux Archives départementales de la Côte d’Or. On lui a confié avec milles et un précautions et consignes “Le Voyage pittoresque en Bourgogne ou description historique et vues des monuments antiques et du Moyen-Age dessinées par une société d’artistes”ainsi que certains volumes du Plan du cadastre napoléonien.
Ses mains sont gantées, la table en bois au large plateau permet la consultation de ces archives imposantes en taille et en poids…
Penchée sur ce témoin d’une époque révolue, elle s’arrête sur le dessin de la chaumière de Bourgogne. Ses yeux suivent l’inclinaison du toit de chaume, les échelles de bois ployant sous le temps passé, l’appentis qui s’effondre protégeant tant bien que mal la brouette retournée.
Puis la gravure du village de Montbard, qui déjà au temps de Charlemagne était une des plus riches ville de Bourgogne. Montbard où Buffon composa une partie de ‘L’Histoire naturelle”. Puis la gravure de l’Hospice de Beaune. La cour intérieure ceinturée de la galerie où l’on peut y voir un groupe de malades, un éclopé passant près du puits, deux bonnes soeurs infirmières côte à côte. La cheminée dégageant une mince fumée.
Puis sous ses yeux les cartes du plan du cadastre napoléonien. Elle avait emprunté les plans de Brazey-en-Plaine et de Saint-Usage. Noms de lieux transmis par la tradition familiale orale. Elle se délectait des noms inscrits sur les parcelles : pré de la pierre, pré aux chevaux, les Grandes Broisse, les Petites Broisse, Les Cornes Mules, le pré de la porte, le pré de la Chapelle, Pré aux noirs, la Noue conté, le Chataigner, le champ à Touzon, la Grande Corvée.
Et ses pensées s’envolent vers ce temps où le cadastre était dessiné et coloré et où les paysans baptisaient leurs champs d’appellation précise et évocatrice.
Les rayons du jour ont faibli, il est temps de partir, les Archives départementales de la Côte d’Or vont fermées leurs portes.
Comment by LOU — 17 décembre 2011 @ 17:12
Elle prenait à peine le temps d’ôter ses gants et les abandonnait avec son sac sur la chaise rouge accolée au bureau. Chaque matin les mêmes gestes. Chaque matin, le même empressement. Elle passait devant moi le front soucieux, les yeux remplis des questions nées pendant la nuit et si elle oubliait de me saluer elle rougissait des heures plus tard en me découvrant devant les étagères chargées de livres. « Oh Charles, pardon … je ne vous ai pas entendu arriver » Comment lui avouer que j’étais là depuis des heures, attentif que j’étais à son confort : avant 7 heures ouvrir les lourds rideaux de velours vert, approcher le fauteuil qu’elle affectionnait, déposer un verre d’eau fraiche, une rose … Je souriais, attendri et si fier d’elle, alors qu’elle parcourait les ouvrages d’anatomie son chapeau encore planté sur le haut de sa tête ! Quelle femme ! Si jeune et déjà si décidée, si audacieuse. Dans un monde où les femmes ne sortaient pas sans chaperon, où elles étaient jugées irresponsables et devaient gagner le consentement de leur mari pour faire des études. Dans cette fin du 19ème siècle où la féminité et la beauté n’allaient pas de pair avec l’intelligence. Qu’importe, pour elle rien de tout cela n’était entrave ou contrainte. Elle souriait, son obstination lovée aux commissures de ses lèvres. Elle souriait et tenait tête, doucement. Elle avait gardé de son Midi de naissance cette pointe chantante et un certain tempérament. Mais tant de douceur, tant de dévouement, et un si bel esprit ! Elle avait tout juste 30 ans et elle travaillait à sa thèse qu’elle soutiendrait brillament. Elle s’appelait Madeleine. Madeleine Brès, première femme médecin en France !
Comment by Chris — 17 décembre 2011 @ 18:54
Chercher avec ardeur. Chercher, dans tout ce qui a été écrit, la trace des femmes pionnières. Lire la Déclaration de la Femme et de la Citoyenne. Se demander qui fut Olympe de Gouges. Comment elle eut le courage de s’imposer, de lutter et puis, celui, terrible, de mourir. De la main de ses frères devenus ses ennemis. Ressentir une fascination naïve, un enthousiasme neuf pour ces femmes aventurières, courageuses, ayant la foi en elles, la foi dans leur vie, la foi dans leur oeuvre. Découvrir qui était Louise Michel. C’est ce qu’elle cherche, passionnément, à travers les liasses de feuilles échouées chez le libraire du bout de la rue. S’être pressée dans les rues humides, indifférente au bas de sa robe qui s’humidifie, à ses bottines boueuses, n’avoir qu’une passion, la lecture, la découverte, la curiosité, et puis s’en aller, quelque part, dans un bas quartier de Londres, ou dans un faubourg lointain, tenter d’apprendre à d’autres ce qu’elle a construit, elle, comme château de la connaissance…
Comment by Pivoine — 16 janvier 2012 @ 4:56