Des souliers qui vont aller loin
Les lecteurs de Lucie Pagé, auteure du très beau récit Mon Afrique et du roman Eva, ont une idée de l’Afrique du Sud des années 1990. Le premier roman d’Eza Paventi, Les souliers de Mandela, nous plonge, quant à lui, dans une Afrique du Sud contemporaine.
Dépaysement et paysages seront bien sûr au rendez-vous autant pour Fleur Fontaine que pour les lecteurs, tous entraînés par la voix d’Eza Paventi, presque ensorcelante, à tout le moins musicale, comme si le roman était une succession de mélopées. Ce roman qui n’est qu’émotions est porté par un deuil amoureux et une reconquête de l’identité rendus possibles grâce à la distance entre soi et l’autre, le passé, l’inaccessible rêve et l’effondrement. Car tout, en plus de soi, est à apprivoiser dans ce pays dont la beauté sauvage a si bien été exprimée dans les paysages peints par William Coetzer, dont le rythme coule dans le sang de Johnny Clegg qui en a fait son pays, et dont André Brink, J. M. Coetzee, Nadine Gordimer et Wilbur Smith ont porté le souffle jusqu’à nous, jusqu’à Fleur, qui dit ne savoir rien de cette terre qui l’accueille, mais dont elle connait, comme nous, ce qui est parvenu jusqu’à elle par la littérature et la musique, autant d’aspects de cette réalité qu’elle aborde, incertaine et inquiète.
De prime abord, Fleur peut paraître superficielle et même agacer tant rien ne l’intéresse que sa petite personne, sa peine d’amour, mais cette impression ne dure pas. La rudesse du pays, sa beauté, les difficultés auxquelles font face les gens qu’elle rencontre, qui sont bien plus dures que les siennes, le temps qui ne se déploie avec la même vitesse que dans le pays qu’elle a laissé derrière elle lui permettent d’accéder à une richesse intérieure et à une réflexion progressive qui nous rendent Fleur attachante. Probablement parce que pour marcher, pour aller au-delà du paraître, elle a « emprunté » les souliers de Mandela afin que son combat personnel s’inscrive dans le combat collectif d’un peuple toujours brimé.
Cela donne un roman bouleversant, dans lequel les sous-entendus s’inscrivent en marge tels des secrets si lourds qu’ils débordent du texte. Un roman aux regards en biais qui finissent par regarder dans les yeux tous les protagonistes. Un roman grave qui se démarque d’une littérature parfois un peu frivole et médiatisée. Un roman d’une grande maturité que l’auteure a sans doute mis des années à mettre au monde, raturant, réécrivant, peaufinant, actualisant. Pour qu’il soit le plus près possible de ce qu’elle voulait transmettre de sa propre expérience sud-africaine sans faire de ce roman sa propre histoire, Eza Paventi s’est laissée guider par ses impressions et ses souvenirs tout en créant un personnage féminin assez loin d’elle afin d’éviter le danger de l’autofiction.
Nul doute que la cinéaste et journaliste a réussi son pari. Les souliers de Mandala vont faire du chemin. Ils vont même aller très loin.
Titre pour le Défi Premier Roman
Une super bonne pioche !
Comment by Anne — 16 octobre 2013 @ 7:48