Anecdotes de libraire 74
Refuser de vendre un livre pour des raisons éthiques est rare dans les sociétés libres où il n’y a plus de livre à l’index. Le geste que vient de poser Marc Filipson de la librairie Filigranes à Bruxelles de ne pas vendre le pamphlet de Richard Millet est donc une grande première. Mais l’auteur a été « trop loin » et accepter de vendre un livre qui fait l’apologie d’un tueur, c’est en quelque sorte cautionner son contenu, ce à quoi se refuse le libraire qui n’a jamais posé pareil geste en 29 ans. Geste que j’applaudis, car il est celui d’un libraire intègre et consciencieux, bien loin d’un vulgaire vendeur qui préfère le bruit de sa caisse enregistreuse aux livres.
Un cas comme celui-là est rare. J’avais même oublié qu’à l’automne 1984 j’avais obtenu de mon patron l’autorisation de retourner tous les exemplaires d’un titre provocateur dont la cible principale était les féministes. Ce livre, un essai écrit par un ex-boxeur devenu le temps d’un documentaire en 2010 un véritable patriote parce qu’il a été un militant actif du mouvement indépendantiste du Québec, n’était rien de plus qu’un ramassis de niaiseries arrogantes à l’adresse des femmes. J’avais d’ailleurs dissimulé sous d’autres livres les exemplaires reçus me refusant de les mettre en évidence bien avant que féministes, femmes, libraires, journalistes et gens du public ne s’expriment haut et fort, et que les livres soient expédiés chez le fournisseur. Celui-là aussi était allé trop loin.
Mais qui se rappelle aujourd’hui cet incident?
*toile de Michael Wagner