En vos mots 329
À quoi peut bien rêver la lectrice peinte par Aron Wiesenfeld, livre à la main? Au personnage du roman qu’elle vient de terminer? Au pays dans lequel il se déroulait? À la suite qu’elle compte bien entamer sans tarder? À quelque chose d’autre?
L’histoire est entre vos mains. À vous de nous la raconter. En vos mots. Tous les commentaires seront validés dimanche prochain et pas avant, comme le veut l’habitude.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous!
Elle pense à ce mot qu’elle vient de lire sur une page de son livre, à ce mot qu’elle se repasse dans sa tête et qui s’inverse comme un transfert dans son regard.
Sa tête tonne de toutes les ruptures de phrases, de tous les temps opposés, sa tête tonne de caractères qui se livrent et s’impriment
jusqu’à tournoyer en vertige indéfiniment.
Elle regarde dans le lointain et ne sait plus si elle doit partir ou revenir, laisser ce livre où les mots l’absorbent et la vide de sa syntaxe, alors elle reste là, songeuse dans sa pensée à attendre un retour qu’elle pourrait façonner pour reprendre sa lecture dans le bon ordre.
Comment by haÏku — 29 juillet 2013 @ 5:32
L’été de mes seize ans. On parle d’un homme politique qui a vu sa vie et sa carrière se brisées à la suite de relations avec une call-girl. À peine deux jours après le décès du Pape Jean XXIII.
L’été de mes seize ans. Maman me raconte que mon père est parti en voyages d’affaires. J’apprendrai plus tard qu’il en avait marre de la vie trop lisse qu’il menait. En larmes et en colère, maman prépare mes affaires et m’envoie passer quelques jours à la campagne chez sa sœur. Tante Gertrude.
Je n’avais jamais vu ma mère pleurer. Je n’avais jamais vu ma mère en colère. Je n’avais jamais entendu parler de tante Gertrude. Je n’avais jamais vu la campagne.
L’été de mes seize ans. Je découvre l’aube. Le chant du coq. Le soleil qui se lève. L’odeur du café. Le pain chaud. Les matins aux feuilles perlées d’eau cristalline. Les chiens qui jouent heureux. Le chat qui sommeille. Les lapins qui s’enfuient. Le soleil qui rougit ma peau trop blanche. Le vent chaud dans les cheveux. Le jour qui s’endort. Épuisé. Heureux.
L’été de mes seize ans. Je rencontre une jeune lectrice, assise contre ce qu’il reste d’un mur. Elle est belle. Intrigante et mystérieuse. Je lui parle. Elle me regarde. Silencieuse. Je lui dis la grande ville. Ma mère. Mon père que je ne verrai plus jamais. Et de combien je suis content de croiser son chemin. Elle semble m’écouter. Ses grands yeux ouverts. Accueillante. Sans un mot. Puis nous restons silencieux. Ensemble. On se croise du regard quelquefois. Et on se sourit. Elle me semble heureuse. Moi je le suis.
L’été de mes seize ans. Tante Gertrude m’apprend que la fille s’appelle Aurore. Qu’elle est la fille des voisins. Et qu’elle se promène toujours seule. Et puis qu’il n’est pas étonnant qu’elle ne m’ait rien dit. Elle est sourde. La pauvre.
L’été de mes seize ans. À la radio quelqu’un raconte qu’à Washington, un certain Martin Luther King a rassemblé plus de 200 000 âmes, pour leur dire qu’il avait un rêve. Moi je m’empresse de terminer mon café. J’embrasse tendrement tante Gertrude. Et je cours à travers champs. Je ne rêve que d’Aurore.
Comment by Armando — 29 juillet 2013 @ 10:35
ELLE RÊVE
Sur la parcelle, la mère bat encore la faucille.
La fatigue s’avance.
Elle rêve.
En bas des sillons bruns,
le ruisseau gargouille sur ses galets.
Caché parmi les boutons d’or, les iris, les sagittaires,
le ru se rassasie d’oxygène et s’enfuit au loin.
Là-bas sur ses méandres,
l’eau troublée accroche une dernière fois le soleil.
Ici dans le bocage se cachait leur nid à tous deux.
Quand elle entra dans le pré, lui, déjà là, l’attendait.
Ses lèvres sont toujours brûlantes de ses baisers.
Il avait tissé un lit de fleurs des champs.
Tu as tout vu la pie.
Tu t’en es allée.
Mais jamais tu ne les as trahis.
Elle rêve.
Au raz du sol. La sueur perle dans son cou.
La haie la protège, l’habille de ses ombres.
Elle rêve.
Fixant encore l’églantine, la ronce fleurie.
Le lézard s’enfuit, l’oiseau immobile se tait.
Elle rêve sous le ciel bleu.
Sous la cacophonie des avions de ligne.
Sous la calligraphie entremêlée des craies de fumées.
Des longues traînées blanches, polluées.
Comment by Cavalier — 3 août 2013 @ 15:07
Armando, c’est magnifique!
Comment by Adrienne — 4 août 2013 @ 9:27
En quelques lignes fugaces, j’ai vu la mort arriver, comme un train sur une route déserte.
Je l’ai regardée droit dans les yeux – fixe – un léopard figé par le soleil.
Seul le bourdonnement des herbes me rappelait à la vie,
Mon héros de papier s’éteignant entre mes bras.
Comment by Topinambulle — 4 août 2013 @ 9:33
Merci Adrienne. Il me plait de lire chaque semaine là où « les voyages » où nous emmènent ceux qui participent à « En vos mots ». Belle aventure.
Comment by Armando — 5 août 2013 @ 0:31