En vos mots 252
Alors que je viens tout juste de valider les commentaires sur la toile de dimanche dernier, que je vous invite d’ailleurs à lire, c’est avec émotion que j’accroche à votre intention un nouveau tableau. En effet, la scène peinte par Alexander Kopeyko me semble si douce et si tendre qu’elle devrait inspirer quiconque s’attarde à l’examiner.
La voilà donc à vous. Pour une semaine. Puisque les commentaires seront emmagasinés pour n’être validés que dans sept jours.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous!
J’aimais entendre la voix chaude de maman me lisant des mondes remplis de douceur et de tendresse. Sa voix était si douce que quelquefois je m’endormais pour m’envoler dans mes rêves. Nous dépensions ainsi nos après-midis du dimanche.
Papa travaillait, sans relâche. Comme à son habitude. Jamais le temps de me lire une histoire. Jamais le temps d’avoir le temps de passer les après-midis du dimanche avec nous. Et pourtant, il était si doux et si aimant. Je le savais à son sourire heureux et fier lorsqu’il nous regardait, maman et moi. Et puis, maman l’aimait presque autant qu’elle m’aimait. Elle a beaucoup pleuré quand la maladie l’a emporté à quelques jours du printemps.
La voix de Lise remplissait le vide de mes dimanches. Aurore semblait si apaisée. Patouf roupillait au fond du sofa.
L’image de mon père est venue me brûler les yeux.
J’ai posé ma plume et je n’ai pas pu m’empêcher de leur promettre de leur lire la prochaine histoire. Aurore a poussé un cri de joie : Oh oui papa… oui papa… Lise m’a regardé, heureuse.
Depuis, chaque dimanche, Aurore s’endort bercée par nos deux voix.
Comment by Armando — 7 février 2012 @ 6:35
Depuis que le père était parti, ils avaient pris l’habitude de se blottir l’un contre l’autre le soir. Ils ne manquaient de rien, le père y avait pourvu. Grâce à sa bonne position sociale, ils avaient de quoi manger en suffisance. Leurs meubles et leur intérieur étaient cossus. Ils disposaient de livres et de tableaux en abondance. Une douce chaleur se répandait dans la pièce. Et s’ils avaient choisi de se lover sous un plaid, couchés sur le canapé, c’était pour le confort d’être allongés ensemble. Pas parce qu’ils souffraient du froid. Sans doute leur coeur manquait-il de chaleur. Le père l’avait emportée avec lui, ne leur en ayant d’ailleurs jamais véritablement offerte. A vrai dire, bien avant son départ définitif, il était déjà absent. Depuis toujours la mère et le fils étaient accoutumés à cette situation. Pour ne plus sentir la morsure du manque, ils s’étaient rapprochés. Ils le faisaient depuis si longtemps que cela leur semblait naturel, bien que Lucas fût maintenant presque un adolescent. Il ressemblait beaucoup à sa mère. Il avait ses traits fins, la même blondeur. La même délicatesse un peu fragile et pourtant déterminée dans le regard. Déterminés, ils l’étaient à coup sûr. Résolus à ne pas se laisser abattre. A trouver dans leurs tête-à-têtes et dans les livres le bonheur que la vie, obstinée, se refusait à leur donner. Ils raffolaient surtout de récits de voyage. En un clin d’oeil ils quittaient leur couchette. Ou plutôt celle-ci se déplaçait, au-delà des mers, dans une cabine de navire, dans de riches hôtels. Ils découvraient ensuite, une fois rassasiés du chemin parcouru, les musées, les marchés, les sites archéologiques. Les fouilles surtout les passionnaient. Parfois ils frissonnaient ensemble, comme à l’approche du soir sur une grève. D’autres moments les voyaient gravir en suant des raidillons exposés au soleil. Ou marcher dans des plaines. Parfois ils s’endormaient, leur front vacillait, leur cou ployait. Et dans un même mouvement ils poursuivaient en rêve leur périple. Au réveil, il arrivait que l’un des deux visages – ou les deux – se retrouve couvert de larmes. Car si loin que les menaient l’exploration de leurs âmes, toujours ils se cognaient à un vide crucial. Ils revenaient groggy des profondeurs abyssales. Grelottant de fièvre à l’équateur comme aux pôles. Alors ils se serraient un peu plus l’un contre l’autre, mais ne disaient rien. Ils ne parlaient jamais d’eux-mêmes, de ce qu’ils ressentaient. Ils continuaient leur lecture comme si de rien n’était. Recherchant le confort dessous la couverture. Jamais ils ne se seraient avoués leur recherche du père parti à l’aventure. Jamais ils n’auraient admis leur défaite. Et chaque soir, dans une joie qui ne savait plus si elle était feinte, ils poursuivaient leur expédition. Seul le chien était le témoin de leur quête.
Comment by Anémone — 8 février 2012 @ 16:12
Une toile qui m’évoque une moisson de souvenirs. De doux et merveilleux moments de lecture avec ma fille blottie contre moi…
Comment by Chantal — 9 février 2012 @ 11:25
Ce qu’il y avait de bien, à la maladie de maman, c’est qu’après l’école il pouvait la rejoindre dans son fauteuil. Ils s’installaient tous les deux sous le grand plaid en fausse fourrure, avec le chien roulé en boule à leurs pieds. Maman allumait la petite lampe de bureau que papa avait installée au salon depuis qu’elle devait si souvent rester couchée et pendant les heures qui les séparaient du repas du soir, elle lui lisait des histoires.
Toujours il choisissait celles qui finissent bien…
Comment by Adrienne — 11 février 2012 @ 11:52
Ah ce joli temps où maman me racontait des histoires… des histoires du temps passé…
http://musicouleur.free.fr/histoiresson.htm
Comment by LOU — 12 février 2012 @ 5:00
@ Armando: Moi aussi, devant ce tableau, j’ai eu l’image du père absent. Je le pensais d’abord pris par son travail, et ensuite emporté par la maladie. Puis s’est imposée l’image qu’il était parti à l’aventure, aimant sans doute les voyages. Et que c’était pour cela que sa femme et son fils se passionnaient pour ce type de lecture. Comme une manière de le retrouver en étant ensemble. Mais dans mon esprit, son départ continue à avoir plusieurs possibles causes. Le voyage et l’aventure n’étant peut-être que métaphores. Merci pour ton texte très beau.
@ Adrienne: En effet,ce peut-être aussi la maman qui est malade. Dans les deux cas, il me semble que cette image nous inspire la lecture comme source de consolation et réconfort du partage. Dans mon histoire aussi, bien qu’ils sachent que la réalité est sans doute autre, les personnages tiennent à ce que ça finisse bien!
@ Lali: Grand merci pour ce blog magnifique que j’explore petit à petit!
Comment by Anémone — 12 février 2012 @ 8:44
Bonjour Anémone
je suis un peu trop ému par vos mots pour pouvoir vous dire merci. Mais mon sourire en dit long.
Comment by Armando — 12 février 2012 @ 8:50
Maman était souvent fatiguée. Normal, après une journée de travail. Et puis, elle s’inquiétait. Elle trouvait que je ne lisais pas bien. Elle critiquait tout le temps la méthode qu’on employait en classe, pour apprendre à écrire. Une méthode globale et fonctionnelle.
Elle disait que je ne savais pas vraiment lire, que je connaissais le texte de mon livre par coeur (c’est vrai que pour la rassurer, tant j’avais peur de ses peurs, je le récitais d’une traite, parce que je connaissais en effet le texte par coeur), et elle craignait -disait-elle que je me priverais, que je me trouverais privé- de la plus grande joie qu’on puisse connaître dans l’existence.
Alors, à Pâques, pendant ces vacances où elle avait justement congé -et papa aussi, puisqu’il est prof dans une école, mais une école pour les grands, où on dessine beaucoup- à Pâques, donc, elle m’a pris avec elle sur le canapé. Avec un livre joliment coloré, un « abécédaire » qu’elle appelle ça, qu’on a acheté un jour chez Castaigne, (une librairie bruxelloise qui n’existe plus), et on l’a commencé ensemble. C’est assez facile. J’ai commencé par les e, é, è, ê, euil, euille, etc. etc. Chaque fois, les mots sont plus difficiles, mais je distingue enfin les lettres. Elles s’écoulent devant moi, comme avec naturel, s’enchaînent, forment enfin un mot que je comprends et nous avançons très vite dans le livre. Elle aime beaucoup ce livre, elle dit qu’il a été primé à l’Expo 58′ et finalement, mon abécédaire, je l’aime aussi, maman avait raison je crois…
Même si je n’aime pas le reconnaître, je lis plus facilement, mon instit est contente, je peux continuer mon contrat de calcul, je peux lire mes BD, un monde s’ouvre à moi, le monde des mots, des lettres, de la langue et ce monde, et désormais, bien que maman ne s’en doute pas encore, il sera toujours le mien…
(A Vincent…)
Comment by Pivoine — 12 février 2012 @ 12:39
@Armando: Votre commentaire me touche beaucoup, je vous adresse moi aussi un grand sourire 🙂
Comment by Anémone — 13 février 2012 @ 15:07