En vos mots 245
C’est chaque dimanche un défi que celui de vous offrir une scène livresque qui n’a rien à voir avec celles qui vous ont été présentées depuis bientôt cinq ans. Une scène qui se démarque et qui puisse susciter une histoire. Tel est l’ambitieux projet d’En vos mots, auquel chacun participe selon son inspiration et son rythme, puisqu’il est ouvert à tous, sans contrainte de genre.
C’est à l’illustrateur Charles Gates Sheldon que j’ai fait appel ce dimanche, dans les archives de qui j’ai trouvé une lectrice bien hivernale qui devrait, je l’espère, inspirer quelques textes que je validerai le matin de Noël. En effet, afin que chacun se sente libre de s’exprimer sans connaître la nature des textes déposés, ceux-ci sont emmagasinés jusqu’à l’accrochage suivant.
D’ici là, bons derniers achats des fêtes!
Jacques était resté seul. Comme l’année dernière. Comme l’autre avant. Et comme toutes celles dont il se souvenait. Depuis son enfance c’était ainsi. La nuit de Noël il la passait seul. D’ailleurs il n’y avait pas que la nuit de Noël qu’il passait seul. C’était pareil pour les anniversaires. Pour le Nouvel An. Jacques était toujours seul. Ou presque.
Pour lui tenir compagnie, il y avait un vieux poste radio des années 50. Le seul héritage matériel qui lui rappelait qu’un jour, comme tout le monde, il avait eu une famille. C’était un poste récepteur toutes ondes, comme on le disait à l’époque, avec un cadran à aiguille et ficelle commandant un condensateur variable, une façade en tissu et en acajou verni, qui n’avait jamais connu d’autre fréquence que Pure Musique. La musique tantôt érudite, tantôt populaire, empreinte de nostalgie, convenait parfaitement aux besoins musicaux de Jacques. Puis il y avait, un peu partout, des pyramides de livres. Sans ordre ni classement. À l’image de son existence. Décousue. Silencieuse et solitaire.
Tandis que la Cantate & concerto pour la Nuit de Noël d’Alessandro Scarlatti envahissait l’épais silence de la nuit, Jacques lisait, avec une étonnante sérénité, un recueil des plus beaux contes pour la nuit de Noël, qu’il avait acheté un jour, par hasard, dans une brocante.
La nuit allait vers sa fin lorsque Jacques a fermé son livre et éteint sa radio. Il a pris une gorgée de café froid avant d’aller à sa fenêtre jeter un coup d’œil au ciel, tout habillé de blanc et laissant tomber, dans l’indifférence du monde, quelques lourds flocons de neige.
Dans les immeubles d’en face, le ballet des silhouettes dansant derrière leurs fenêtres a retenu son attention. Et il est resté là. Immobile. Silencieux. Seul. Le regard souriant de la jeune patineuse dessinée par Charles Sheldon, accroché au mur, pour toute compagnie.
Comment by Armando — 19 décembre 2011 @ 2:08