Les beaux miracles 4
L’obscurité naturelle
passe sans voir ce poème!
Saurais-je achever la nuit
aussi simplement
si je tarde encore
à éteindre la lampe?
Henri Falaise, Les beaux miracles
*choix de la lectrice de Zbigniew Pronaszko
L’obscurité naturelle
passe sans voir ce poème!
Saurais-je achever la nuit
aussi simplement
si je tarde encore
à éteindre la lampe?
Henri Falaise, Les beaux miracles
*choix de la lectrice de Zbigniew Pronaszko
Le dernier adieu
Quand l’être cher vient d’expirer,
On sent obscurément la perte,
On ne peut pas encor pleurer :
La mort présente déconcerte;
Et ni le lugubre drap noir,
Ni le dies irae farouche,
Ne donnent forme au désespoir :
La stupeur clôt l’âme et la bouche.
Incrédule à son propre deuil,
On regarde au fond de la tombe,
Sans rien comprendre à ce cercueil
Sonnant sous la terre qui tombe.
C’est aux premiers regards portés,
En famille, autour de la table,
Sur les sièges plus écartés,
Que se fait l’adieu véritable.
(Sully Prudhomme)
*toile de Kathleen Letitia O’Connor
Silence
La pudeur n’a pas de clémence,
Nul aveu ne reste impuni,
Et c’est par le premier nenni
Que l’ère des douleurs commence.
De ta bouche où ton cœur s’élance
Que l’aveu reste donc banni!
Le cœur peut offrir l’infini
Dans la profondeur du silence.
Baise sa main sans la presser
Comme un lis facile à blesser,
Qui tremble à la moindre secousse;
Et l’aimant sans nommer l’amour,
Tais-lui que sa présence est douce,
La tienne sera douce un jour.
(Sully Prudhomme)
*toile de Bill Murcko
Soupir
Ne jamais la voir ni l’entendre,
Ne jamais tout haut la nommer,
Mais, fidèle, toujours l’attendre,
Toujours l’aimer.
Ouvrir les bras et, las d’attendre,
Sur le néant les refermer,
Mais encor, toujours les lui tendre,
Toujours l’aimer.
Ah ! Ne pouvoir que les lui tendre,
Et dans les pleurs se consumer,
Mais ces pleurs toujours les répandre,
Toujours l’aimer.
Ne jamais la voir ni l’entendre,
Ne jamais tout haut la nommer,
Mais d’un amour toujours plus tendre
Toujours l’aimer.
(Sully Prudhomme)
*toile de Lena Murray
Le temps perdu
Si peu d’œuvres pour tant de fatigue et d’ennui!
De stériles soucis notre journée est pleine :
Leur meute sans pitié nous chasse à perdre haleine,
Nous pousse, nous dévore, et l’heure utile a fui…
« Demain! J’irai demain voir ce pauvre chez lui,
« Demain je reprendrai ce livre ouvert à peine,
« Demain je te dirai, mon âme, où je te mène,
« Demain je serai juste et fort… pas aujourd’hui. »
Aujourd’hui, que de soins, de pas et de visites!
Oh! L’implacable essaim des devoirs parasites
Qui pullulent autour de nos tasses de thé!
Ainsi chôment le cœur, la pensée et le livre,
Et, pendant qu’on se tue à différer de vivre,
Le vrai devoir dans l’ombre attend la volonté.
(Sully Prudhomme)
*toile de Zeynep Nazan Ergincan
Trop tard
Nature, accomplis-tu tes œuvres au hasard,
Sans raisonnable loi ni prévoyant génie?
Ou bien m’as-tu donné par cruelle ironie
Des lèvres et des mains, l’ouïe et le regard?
Il est tant de saveurs dont je n’ai point ma part,
Tant de fruits à cueillir que le sort me dénie!
Il voyage vers moi tant de flots d’harmonie,
Tant de rayons qui tous m’arriveront trop tard!
Et si je meurs sans voir mon idole inconnue,
Si sa lointaine voix ne m’est point parvenue,
A quoi m’auront servi mon oreille et mes yeux?
A quoi m’aura servi ma main hors de la sienne?
Mes lèvres et mon cœur, sans qu’elle m’appartienne?
Pourquoi vivre à demi quand le néant vaut mieux?
(Sully Prudhomme)
*toile de Richard Christian Nelson
Le premier amour
Comme un verre intact, avant l’heure
Où le remplira l’échanson,
Au plus léger coup qui l’effleure
Vibre d’un sonore frisson,
Mais pour la fugitive atteinte
N’a plus de soupir cristallin,
Et ne tressaille ni ne tinte
Sans aucun heurt dès qu’il est plein,
Le jeune cœur, vivant calice,
Frémit plaintif au moindre appel,
Avant que l’Amour le remplisse
De son généreux hydromel;
Mais, quand cet échanson céleste
L’a, soudain, comblé jusqu’au bord,
Plus rien n’y bat pour tout le reste;
Silencieux, il paraît mort;
C’est qu’il peut dédaigner la terre,
Il aime ! le ciel est entré
Dans sa profondeur solitaire :
Il est immuable et sacré.
(Sully Prudhomme)
*toile de Marwine Neumayer
Parce qu’après quelques jours doux qui laissaient supposer que le printemps s’installait, les montagnes de neige accumulée ayant largement fondu, la neige recouvre à nouveau le sol, j’ai choisi cette scène peinte par Mstislav Valerianovitch Doboujinski pour vous montrer à quoi ressemble un peu mon décor en ce dimanche matin de mars.
À vous, la suite. À vous de me raconter en vos mots une histoire pour me faire oublier le retour de l’hiver, que j’ose temporaire, tant j’ai hâte de revoir les tulipes, tant j’ai envie de voir la mer.
Aucun texte ne sera validé avant dimanche prochain, ce qui vous donne beaucoup de temps pour écrire. Assez pour que l’hiver disparaisse? Je vous le dirai.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous!
Les caresses
Les caresses ne sont que d’inquiets transports,
Infructueux essais du pauvre amour qui tente
L’impossible union des âmes par les corps.
Vous êtes séparés et seuls comme les morts,
Misérables vivants que le baiser tourmente!
Ô femme, vainement tu serres dans tes bras
Tes enfants, vrais lambeaux de ta plus pure essence :
Ils ne sont plus toi-même, ils sont eux, les ingrats!
Et jamais, plus jamais, tu ne les reprendras,
Tu leur as dit adieu le jour de leur naissance.
Et tu pleures ta mère, ô fils, en l’embrassant;
Regrettant que ta vie aujourd’hui t’appartienne,
Tu fais pour la lui rendre un effort impuissant :
Va! Ta chair ne peut plus redevenir son sang,
Sa force ta santé, ni sa vertu la tienne.
Amis, pour vous aussi l’embrassement est vain,
Vains les regards profonds, vaines les mains pressées :
Jusqu’à l’âme on ne peut s’ouvrir un droit chemin;
On ne peut mettre, hélas ! Tout le cœur dans la main,
Ni dans le fond des yeux l’infini des pensées.
Et vous, plus malheureux en vos tendres langueurs
Par de plus grands désirs et des formes plus belles,
Amants que le baiser force à crier : « Je meurs! »
Vos bras sont las avant d’avoir mêlé vos cœurs,
Et vos lèvres n’ont pu que se brûler entre elles.
Les caresses ne sont que d’inquiets transports,
Infructueux essais d’un pauvre amour qui tente
L’impossible union des âmes par les corps.
Vous êtes séparés et seuls comme les morts,
Misérables vivants que le baiser tourmente.
(Sully Prudhomme)
*toile de Dee Nickerson
Pensée perdue
Elle est si douce, la pensée,
Qu’il faut, pour en sentir l’attrait,
D’une vision commencée
S’éveiller tout à coup distrait.
Le cœur dépouillé la réclame;
Il ne la fait point revenir,
Et cependant elle est dans l’âme,
Et l’on mourrait pour la finir.
A quoi pensais-je tout à l’heure?
A quel beau songe évanoui
Dois-je les larmes que je pleure?
Il m’a laissé tout ébloui.
Et ce bonheur d’une seconde,
Nul effort ne me l’a rendu;
Je n’ai goûté de joie au monde
Qu’en rêve, et mon rêve est perdu.
(Sully Prudhomme)
*toile signée Helge Nielsen