Une longue introspection
Malgré l’influence de Michel Butor, de Romain Gary et du Nouveau Roman sur son écriture et ses choix en matière de forme et de construction et dont elle ne tait pas le rôle, Cassie Bérard signe avec D’autres fantômes un roman qui a déjà une marque de commerce qui lui permet de se démarquer des primo-romanciers actuels.
La jeune auteure, qui cite Pessoa en exergue — « Je pense donc je ne suis pas et je suis d’autant moins que je pense davantage » —, a choisi pour ce premier exercice des contraintes que même des écrivains d’expérience n’osent pas souvent s’imposer. En effet, Cassie Bérard a opté de se glisser dans la peau d’un homme d’une quarantaine d’années et d’installer l’action à Paris.
Elle semble d’ailleurs avoir évité la plupart des pièges puisque le lecteur est, dès le départ, convaincu, tant par la crédibilité du personnage que par la véracité des lieux décrits. Mais l’est-il suffisamment pour ne pas se fatiguer de cette introspection qui n’en finit plus? De cela, je suis loin d’être certaine, ayant moi-même déposé plus d’une fois D’autres fantômes pour le reprendre plus tard, épuisée par les virevoltes et les sauts en arrière du narrateur qui n’en finit pas de se questionner, de chercher à donner un sens à sa propre vie et de faire de ses lecteurs des témoins.
Or, c’est d’abord lui le témoin. Pas nous. C’est lui qui était là, qui a assisté de façon indirecte à la mort d’une femme dans le métro. C’est lui qui a décidé de faire une enquête sur elle, sur ce qu’elle a laissé derrière, lui qui se trouve confronté à de fausses pistes plus nombreuses que les vraies, ce qui le poussera à chercher ailleurs, dans les méandres de sa propre vie et de ses souvenirs qu’il croyait enterrés, voire oubliés.
On ne remue pas le passé, le sien comme celui de quelqu’un d’autre, sans se piéger soi-même, ce qui arrive à Albert à force d’emprunter toutes les directions pour comprendre, pour expliquer, pour taire en lui ce qu’il ne pensait pas soulever et qui prend toute la place. On ne le remue pas pendant plus de 400 pages sans se répéter.
Cassie Bérard a réussi un roman presque parfait. Elle a su camper à la perfection ses personnages, elle maîtrise le sens du rythme, et si elle se perd parfois dans des détails qui peuvent sembler inutiles, ce n’est pas là une faute, mais bien une grande compréhension de son narrateur à qui elle a choisi de donner la parole jusqu’au bout.
Mais c’est parfois trop, du moins pour la lectrice que je suis. J’aurais préféré un roman plus serré, moins long. Mais cela reste bien personnel, et d’autres n’y verront pas là un défaut.
D’autres fantômes : pour tous ceux qui aiment tenter de trouver des réponses, même si celles-ci ne sont pas toujours là où ils croyaient les trouver.