Sur les traces de Simone Routier 2
Je partirai
(à Gilles Routier)
Un jour je partirai, ne sachant plus attendre.
Je fermerai les yeux, attentive au désir
En moi soudain plus beau, plus violent, plus tendre
Et, pressant ses deux mains tremblantes de saisir,
Je luis soufflerai : « Parle, enfin je puis t’entendre!
L’heure s’est dissipée où tu devais mourir
Et je sens qu’une joie immense va descendre. »
Le soleil marquera midi quand sur la mer
Les mouettes viendront, de leur aile hésitante
Prolonger les adieux au-dessus du steamer.
Le cœur sera serré par la voix trop distante
Et sous l’emprise d’un pressant bonheur amer;
Il n’appellera ni l’oubli, ni la détente
Et je ne sais quel chant d’amour criera dans l’air.
L’océan me dira sa glauque inquiétude.
Le ciel enveloppant mettra dans mon regard
L’ample mystère bleu de son incertitude.
Au paquebot le vent, d’une course au hasard,
Bien loin m’apportera cet accent doux ou rude
Que j’oublierai trop tôt après chaque départ
Des pays bigarrés d’une autre latitude.
Je verrai d’émouvants visages. J’entendrai
D’intraduisibles mots dont l’angoisse ou la joie
Jettera vainement son refrain altéré
Aux parois de mon âme où leur écho s’éploie.
Je frôlerai peut-être un appel ignoré
Qui bruita tout près — ô Destin qui tournoie! —
Mais nulle part, dégoûts, je ne vous connaîtrai.
Un jour je partirai, ne voulant plus attendre.
Je fermerai les yeux consentante au désir.
Et serai tout à coup si rieuse et si tendre
Que tous les chers bonheurs chercheront mon plaisir.
Mon cœur battra si fort qu’il faudra bien l’entendre.
Et si puissant viendra cet appel à partir
Qu’aucun obstacle humain ne pourra m’en défendre.
Simone Routier, Comment vient l’amour et autres poèmes
*choix de la lectrice peinte par N. Abel-Boulineau