Les vers de Cécile 6
Voilà que je me sens plus proche encor des choses.
Je sais quel long travail tient l’ovaire des roses,
Comment la sauterelle au creux des rochers bleus
Appelle le soleil pour caresser ses neufs
Et pourquoi l’araignée, en exprimant sa moelle,
Protège ses petits d’un boursicot de toile.
Je sais quels yeux la biche arrête sur son faon,
Tellement notre esprit s’éclaire avec l’enfant;
Je sais quels orgueils fous se cramponnent aux ventres,
Dans les nids, les sillons, les océans, les antres,
Quels sourds enfantements déchirent les terrains,
Quelles clameurs de sang s’élèvent des ravins.
Nous avons le regard des chattes en gésine
Quand le flux maternel nous gonfle la poitrine,
Quand l’embryon mutin bouge dans son étui
Comme un nouveau soleil sur qui pèse la nuit.
Nos seins lourds et féconds comme la grappe mûre
Offrent leur doux breuvage à toute la nature
Et notre obscur penchant voudrait verser son lait
À l’abeille, à la fleur, au ver, à l’agnelet.
Plaine grosse de sève et d’ardeurs printanières,
Écume salivant le désir des rivières,
Prunier croulant de miel, pesantes fenaisons,
Geste courbe et puissant des vertes frondaisons,
J’épouse la santé de votre âme charnelle
À présent que je vais forte comme Cybèle,
Que je suis le figuier qui pousse ses figons,
Qu’ayant connu l’essor hésitant du bourgeon
Et déployé la fleur où la guêpe vient boire,
Je m’achemine au fruit dans l’ampleur de sa gloire.
Le monde n’a plus rien de trop profond pour moi,
J’ai démêlé le sens des heures et des mois,
Et ma main qui s’arrête aux fentes des murailles
Sent dans le flanc du roc palpiter des entrailles.
Je n’aurais pas voulu, desséchant sur mon pied,
Être l’arbre stérile au tronc atrophié
Où l’abeille maçonne aurait creusé sa chambre,
Où quelque cep noueux gonflant sa grappe d’ambre
Aurait mis sur ma branche un air pâlot d’été
Sans que je participe à sa divinité.
Comme la riche nuit entre ses légers voiles
Voit dans son tablier affluer les étoiles,
Comme le long ruisseau abondant de poissons,
Je brasse en épis drus les humaines moissons.
Hommes, vous êtes tous mes fils, hommes, vous êtes
La chair que j’ai pétrie autour de vos squelettes.
Je sais les plis secrets de vos cœurs, votre front
Cherche pour y dormir mon auguste giron,
Et ma main pour flatter vos douleurs éternelles
Contient tous les nectars des sources maternelles.
Cécile Sauvage, Œuvres complètes
*choix de la lectrice de Christian Rohlfs
Ouf! C’est toute une ode à la femme enceinte! Dommage que je n’ai pas ressenti tout cela quand j’étais dans cet état car:
Tous les matins l’estomac ressortait de ses gonds
Remettait le souper et parfois plus encore.
Mon dos criait « pitié » à tenir mon bedon.
Plus je m’alourdissais, plus je plaignais mon sort.
Le père se foutait des plaintes maternelles;
Il profitait enfin de deux grosses mamelles 😉 🙂
Comment by Armèle Labelle — 30 décembre 2011 @ 5:42
Voilà une poétesse qui fait chanter les mots avec grand talent pour notre plus grand bonheur! Une belle découverte!
Comment by Arthenice — 30 décembre 2011 @ 7:22
Magnifique poème !
Et je vois qu’il y a encore des lectrices !
Lali de sa constance enchante nos esprits,
D’un rayon de lumière et d’un trait de génie…
Comment by Edith — 30 décembre 2011 @ 16:43