Les lapins
Les rares personnes avec qui j’ai dormi vous l’affirmeront tout de go : je ronfle. Et même, j’appelle cela le ronflement du juste pour faire un pied de nez à ceux qui parlent du sommeil du juste. Comme quoi, on peut rire de ses défauts. Mais je crois que même si je dors peu, je dors paisiblement. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Puisque je me réveille parfois exactement dans la position dans laquelle je me suis endormie.
Mais il a été une époque, aux heures de l’enfance où j’ai connu mes premières insomnies, puis le sommeil perturbé. Je voyais des lapins partout. Ils surgissaient de trous dans le gazon, ils se glissaient dans des interstices minuscules et ils m’affolaient. Littéralement. Je ne les trouvais pas aimables du tout, ni amicaux, ni rien de cela. Ils me faisaient peur. Horriblement peur.
J’avais sept ou huit ans. On m’avait offert Alice au pays des merveilles. Les lapins, ça venait de là. Jamais livre ne m’a fait plus peur, jamais livre ne m’a donné des sueurs froides comme celui-ci. Jamais. Même le loup du Petit chaperon rouge ou des Trois petits cochons n’avait pas eu cet effet sur moi. Ni aucun ogre.
Seul le lapin en chocolat du jour de Pâques a pu calmer mes angoisses. J’ai détaché ses oreilles et l’ai défait en morceaux. Pour me venger de ses congénères qui m’avaient fait aussi peur.
Curieux que ce souvenir me revienne alors que je regarde les toiles de Trudi Doyle. Pas que je l’avais oublié, loin de là, mais quand il survient, je préfère le chasser, maintenant que je dors la plupart du temps calmement, malgré des rêves parfois distordus ou que je n’explique pas.
Je n’ai jamais terminé le roman de Lewis Carroll. Et quand je rêve à des lapins, désormais, ils sont en chocolat.