En vos mots 255
Nous voici déjà au dernier dimanche de février, alors que Montréal, après avoir eu un avant-goût du printemps, est à nouveau couverte d’un épais manteau blanc qui fait la joie de certains, mais dont je me serais bien passée, surtout en cette semaine de vacances. Mais bon. Quelques livres, quelques toiles et un peu de musique devraient réussir à me faire oublier la neige. Ainsi que vos textes. Ceux que vous voudrez bien déposer sur la toile du peintre belge Gerard Portielje que je vous offre aujourd’hui et qui, je l’espère, saura vous inspirer et faire jaillir quelque histoire de votre imagination ou de vos souvenirs.
Ce n’est que dans sept jours que seront validés les commentaires. Vous avez donc le temps!
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine!
C’était le dernier jour d’école. Il avait repris les copies. Il les rendrait corrigées après le congé.
Parmi les dissertations, calligraphiées ou non sur divers types de papier, il avait eu l’oeil attiré par un format particulier et une écriture fine sur un papier beige rosé. C’était le petit Georges qui lui avait remis ce pli, glissé discrètement à l’intérieur de sa feuille. Mais il l’avait vu. Un tout petit bout qui dépassait. Et ne s’en échappait-il pas aussi un parfum?
S’efforçant de paraître calme, il avait attendu que tous les enfants aient quitté la salle. Puis il s’était saisi de l’écrit, des tremblements dans les paumes. Une main délicate avait tracé ces lignes, utilisant des mots qui ne l’étaient pas moins. La main d’une femme, la mère de Georges, qu’il avait rencontrée à plusieurs reprises. Une jeune veuve charmante, qui faisait ce qu’elle pouvait pour élever deux garçons. Il avait bien senti qu’elle cherchait en lui des conseils de père. Il avait bien perçu son regard admiratif, les battements de son coeur, l’humidité de ses lèvres. Et maintenant, voilà qu’elle les avait mis noir sur blanc, ses battements de coeur. Enfin, bleu sur rose clair.
Mais il ne pouvait pas. C’était tout simplement invraisemblable. Il ne pouvait pas répondre à cette invite. Car c’était une invite, une déclaration. A peine déguisée. Certes, sa vie était quelque peu monotone. Mais il avait des enfants, une épouse. De l’autre côté, cette âme solitaire et en peine, ce corps si avide de tendresse. A prendre. Que fallait-il faire?
Amorçant un mouvement brusque, il fit de la lettre une boulette. Une rose en papier froissé. Pendant quelques minutes il prolongea son geste, il y promena les doigts avec un émoi que sa raison ne pouvait asservir. Enfin, il respira. Il allait retourner chez lui, mais d’abord passer par le petit chemin, et derrière la haie, il craquerait une allumette. Il n’y aurait que peu de fumée. Pas de traces. Puis il essayerait de faire le vide, de rentrer. De profiter de ses vacances. Et d’un peu travailler. Il avait vingt devoirs à corriger sur le thème: « De deux maux, il faut choisir le moindre ». Ses élèves devaient avoir eu des avis assez divergents sur la question.
Comment by Anémone — 26 février 2012 @ 17:58
Je me souviens encore de lui. Du son de sa voix. De son regard. Intense. Aussi fort que mille mots.
Je me souviens que cet après-midi-là il m’a réprimandé. Pour la énième fois. Avec fermeté et pourtant sans élever la voix. Sans châtiment corporel. Sans animosité.
Cet après-midi-là il a interrompu la classe pour que je me taise. Pour me dire : « Je comprends que vous ne respectiez pas ma volonté d’enseigner malgré vous. Je comprends que vous ne vous respectiez pas plus que cela. Et croyez-moi, je suis tolérant à cet égard. Après tout, cela ne concerne que vous et moi. Mais je ne saurais tolérer plus une seule seconde que vous soyez tyrannique au point d’empêcher vos collègues d’apprendre. Par votre insolence. Qu’un jour, trop tard, vous allez regretter. Et ce jour-là vous penserez à moi. Mais pour l’heure, je vous demande de vous taire, le temps que vos amis et vos collègues de classe puissent faire ce pour quoi ils sont venus. Apprendre!… »
Et puis il m’a regardé intensément. Sans autre mot. Jusqu’à ce que je me taise. Jusqu’à en avoir les yeux perlés de larmes. Et que je baisse ma tête. Honteux.
C’est ce jour-là qu’il a changé le cours de mon existence. Et qu’il est entré dans mon cœur. Pour toujours.
Comment by Armando — 29 février 2012 @ 11:17
Et j’ai en souvenir, cette maîtresse d’école si méchante, qui avait pris comme souffre-douleur une de mes petites amies. Vous souvenez-vous de ces coups de règle sur les bouts des doigts, du coin derrière le tableau noir. Et bien cette pauvrette y avait droit. Systématiquement. Surtout ne jamais considérer le courage de cette petite fille aînée d’une fratrie de 8 enfants. Lorsqu’elle rentrait de l’école, elle jouait le rôle de la petite maman. Alors, bien sûr, les devoirs, la pauvrette, elle n’avait pas le temps…
Là, j’ai appris le goût amer de l’injustice et malheureusement je n’ai pu lui offrir que mon amitié. Ce souvenir est en moi comme une marque au fer…
« Le cancre
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur. »
Jacques Prévert.
Comment by LOU — 4 mars 2012 @ 7:17
SERMENT
Non, je ne me suis jamais marié, je ne voyais pas la raison.
La beauté d’une femme est passagère, celle des pages est immortelle.
Quand je serre un livre dans mes bras, je suis jeune, viril, sage, sophistiqué.
Aux yeux des vraies femmes, je ne suis qu’un pauvre vieux mou, sans intérêt.
Non, mon amour pour la parole écrite ne mourra jamais.
J’ai toute intention de lui rester fidèle.
Comment by joye — 4 mars 2012 @ 9:38