En vos mots 238
Cuisinera-t-elle? Lira-t-elle? Fera-t-elle les deux? C’est à vous de nous le dire, en vos mots. Tout de suite ou plus tard, mais en sachant qu’aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain, à 8 h, heure de Montréal. Tel est l’exercice ludique auquel je vous convie dimanche après dimanche.
Le reste ne m’appartient pas. La toile de l’artiste Rose Frantzen est à vous et à vos histoires.
Ce matin-là, le journal parlait à nouveau du monstre de Princeton. De son vrai nom Paul. À croire le journaliste, le crime commis était autant horrible qu’inhumain. Une histoire de jalousie comme il y en a tellement. Paul, un garçon banal et sans histoire, était devenu, l’espace d’une folie, le montre de Princeton. Après avoir découvert les deux amants dans son propre lit, il les aurait assassinées à coups de hache. Un carnage. Une boucherie.
Pendant des mois, on n’a pas parlé d’autre chose au village. Pendant des mois, on s’est tu chaque fois que Madame Gertrude, la maîtresse d’école, était dans les parages. C’était un long silence avenant et grave. Il commençait aussitôt la fin du « Bonjour Mme Gertrude » pour s’achever au « Revoir Mme Gertrude ». Curieux de se dire que le passage de la maîtresse d’école, si aimée au village, ne suscitait pas plus de conversation que cela. Pourtant, ils n’étaient pas rares ceux qui étaient heureux de lui confier l’éducation de leur enfant.
Faut dire que Mme Gertrude appartenait à la race de ces femmes, dignes et fières, qui n’avaient jamais appris à plier devant l’adversité. Depuis huit mois qu’elle était veuve. Marc, un Breton robuste qui avait survécu à tout n’était plus que l’ombre de lui-même. Il y a qui disent qu’il pleurait chaque soir.
Ce samedi-là Mme Gertrude s’était levée à l’aube et avait préparé à manger, comme si c’était un jour de fête.
Puis, comme si elle attendait quelqu’un, elle s’est offert un instant de répit. Elle a pris le temps de lire avec soin le journal qui, encore une fois, parlait à nouveau du monstre de Princeton.
Le bruit des freins de la vieille voiture de M. le Curé l’a arrachée à sa lecture. Le klaxon aurait été inutile. Après un grand soupir, elle s’est installée dans la voiture. Il était l’heure de s’en aller. Elle savait que le voyage serait long, silencieux et douloureux. Et qu’une mère l’est pour toujours.
Comment by Armando — 3 novembre 2011 @ 10:17
AH, SI J’AVAIS DES AILES!
Froide saison des petites laines et des thés bien chauds,
Confitures et tartes aux pommes cuisent dans mon fourneau.
Je m’arrête sur une annonce de mes vieux journaux :
« La mer bleue est à vos portes, faites comme les oiseaux! »
Flairjoy
Comment by Flairjoy — 5 novembre 2011 @ 6:19
Après tout, ma confiture de pommes peut bien attendre se dit Juliette. Le ménage et les courses au village de ce matin m’ont un peu fatigués. Ensuite, il faudra que je fasse un tour dans le jardin. L’orage d’hier soir a cassé pas mal de fleurs et de branches. Une maison, c’est bien beau, quel entretien mais comme je m’y sens bien. J’aime cette maison qui a appartenu à mes parents. Je me souviens, tous les dimanches, maman préparait un délicieux repas et toute la famille était réunie autour de la table et chacun y allait de son petit couplet de la vie de tous les jours. Ces beaux moments restent gravés dans mon coeur.
Après le repas, mon grand-père aimait s’installer dans le gros fauteuil, un peu en retrait et prenait plaisir à fumer sa pipe dont j’appréciais l’odeur.
Maintenant, je suis seule. Une fois par semaine, j’ai la visite de Jeanne, une voisine. Je prépare le thé et souvent elle vient avec gâteau fait maison et moi, je lui offre un pot de confiture. Nous parlons de choses et d’autres. On s’entend bien toutes les deux. Nous pouvons compter l’une sur l’autre.
Parfois, nous allons en ville faire des achats. Elle vient me chercher avec sa voiture qui n’est plus toute jeune et nous rions à chaque fois en nous demandant si elle va tenir le coup encore longtemps. Nous faisons plein de projets pour l’achat d’une nouvelle voiture en commun.
Cela met du piment dans nos vies.
Dans le journal, je crois avoir découvert la perle rare. Une petite annonce indique: « A vendre, voiture d’occasion, parfait état, 1200 km au compteur à un prix tout à fait raisonnable, cause départ en Angleterre ».
Lorsque j’aurai terminé ma confiture de pommes, j’irai chez Jeanne pour lui montrer l’article et nous téléphonerons demain matin. Ne sait-on jamais…
Jeanne a quelques économies et moi aussi. Pour nous, un véhicule est indispensable pour faire les courses car la première ville se trouve à 20 kilomètres.
Ah! Jeanne! Quelle belle surprise… cela tombe bien car je voulais venir chez vous pour discuter de cette petite annonce!
Je crois bien qu’une bonne étoile nous accompagne.
Comment by Denise — 5 novembre 2011 @ 8:41
Jeanne compte ses pots, ses pots de confiture, ses petits pots de confiture.
Confitures d’abricots, quinze pots. Confiture de pruneaux : trente pots. Confiture de Reine-Claude, un peu moins, vingt. Et la meilleur, celle réservée au gâteau de Savoie roulé pour la bûche de Noêl : la gelée de groseille, trois. Sans compter celui d’oranges amères et cinq de gelée de mûres.
Sur chaque étiquette, la date, le nom du fruit et surtout, surtout : “Confiture de Jeanne”.
Certaines années, Jeanne en a compté deux cent, oui, oui, je dis bien deux cent.
Mais comme le bon vin, la bonne confiture sait attendre les amateurs et les gourmands. Laquelle vous fait envie, allez, allez, dites-moi… Vous salivez, j’espère ?
Comment by LOU — 6 novembre 2011 @ 5:30
Le jour se lève à peine.
La lumière dorée de l’aube hésite encore un peu et baigne tendrement la cuisine et son joyeux désordre. Il était tard et elle n’a pas voulu de mon aide hier, m’assurant qu’elle m’attendrait ce matin pour tout ranger. C’était une belle promesse, une délicieuse promesse : je l’aurai toute à moi pour deux heures, avant que la ribambelle de cousins ne se lèvent et remplissent l’espace de leur vacarme ! Toute à moi pour déguster ses gestes si précis, pour déguster sa voix, son parfum et le gilet qu’elle mettra sur ses épaules et le tablier qu’elle nouera sur ma taille. Toute à moi. Nos regards complices et ses mains que je frôle en essuyant la vaisselle, ses cheveux retenus par le foulard roulé et sa mèche rebelle. Toute à moi. Et les secrets bonheurs dans le bol de café. Toute à moi, et les trésors des secondes qui chantent sous l’accent de ma grand-mère… Le jour se lève à peine, j’ai fait de mon mieux pour ne pas faire grincer le bois de l’escalier. Je veux lui faire la surprise et m’accouder à côté d’elle sur la table de chêne. Petite souris en chausson, je me glisse. Elle n’a pas levé les yeux de son journal mais je vois le sourire qui se dessine sur ses lèvres. Elle effleure mon coude de ses doigts et quand elle parlera mon cœur explosera…
Le jour se lève à peine.
Je suis là immobile sur le seuil de la porte de la cuisine. J’ai repris mes vieux chaussons mais la table est vide. Une larme tombe sur le parquet. La lumière dorée de l’aube charrie nos bonheurs passés et mes joies courent dans la poussière en suspension. Je suis là immobile. Mes souvenirs palpitent dans l’embrasure …
Comment by Chris — 6 novembre 2011 @ 6:40
MURI
Combien de fois avait-elle fait de la compote aux pommes ?
Voyons, elle avait commencé dans les jupons de sa grand-mère voici bien soixante ou soixante-cinq ans.
Et puis, elle aurait dû continuer avec sa mère, mais quand elle avait cinq ou six ans sa mère était partie un jour avec le voisin et son père n’a jamais voulu commencer avec les femmes, alors, c’était à elle, Muri, de faire toues les corvées de son père. Et elle a appris toute seule, et rapidement, parce que son père avait la main dure et l’habitude de lui filer des claques sur les oreilles si tout n’était pas à son goût.
Et puis, un jour quand elle avait onze ou douze ans, son père est mort, hurlant en agonie le nom de sa femme perfide. Muri ne se souvenait plus que des ses mains, enfin calmes mais encore dures comme des pierres.
Alors, c’était Tonton Charles qui a pris charge d’elle, à la plus grande satisfaction de sa femme, Florence. Florence avait un tempérament vif et cruel, et parfois quand la compote n’était pas à son goût, elle prenait Muri par les cheveux et la ramenait à la cuisine pour qu’elle recommence, cassant les bocaux luisants et encore chauds de leur cuisson. Parfois, il fallait toute une nuit pour nettoyer la cuisine, parce que Muri ne voulait pas que Florence épie un bout de pomme sur les placards.
Quand elle avait seize ou dix-sept ans, un homme est venu parler avec son oncle. Il était maigre et un peu gris. Il n’aimait pas la compote aux pommes, mais ses mains étaient aussi dures que celles de son père et sa humeur aussi maligne que celle de sa tante, et des années passaient où la vraie Muri avait tout simplement oublié d’exister. Oh, son corps étaient encore là, à faire le ménage, prendre des coups, mais le reste était ailleurs comme si son esprit avait pris un long voyage autour du monde, un voyage qui avait duré trois ou quatre décennies, jusqu’au jour où l’homme maigre et gris est mort d’une crise quelconque et enfin, Muri était libre, et son esprit pouvait revenir de son très long exil brumeux.
Alors, combien de fois avait-elle fait de la compote aux pommes ? Muri ne savait plus très bien.
Comment by joye — 6 novembre 2011 @ 8:30