J’aime Roland Giguère, le poète comme le peintre, celui que Jean Royer avait appelé « le poète du paysage intérieur » alors qu’il lui avait rendu hommage au moment de son décès en 2003, un poète qui est un de ceux qui m’émeuvent et auxquels je reviens toujours. C’est pourquoi mon cœur a vibré au départ de la lectrice peinte par Thomas Wilmer Dewing. Elle avait choisi pour les lectrices du soir le recueil Cœur par cœur de Roland Giguère, et laissé le livre ouvert sur ces mots :
Par cœur
À Marthe
Je sais par cœur mille chansons vieillottes
et des vers sublimes de poètes inconnus
je sais par cœur des noms de villes perdues
des noms de femmes aimées des noms peu communs
des noms propres avec de grandes initiales brodées
je sais par cœur de vieux airs de danse
et des chants d’amour qui mouillent les yeux
je sais par cœur des mots rares oubliés
dans les pages jaunies d’un dictionnaire
des mots qui souffrent de solitude et d’abandon
je sais par cœur des choses qui ne servent à rien
des phrases inutiles laissées à la porte
comme des feuilles mortes que le vent emporte
je sais par cœur des heures de joie pure
et des moments de détresse que l’on efface
quand vient le muguet du mois de mai
je sais par cœur mes absences et mes douleurs
je sais tout ce qui me hante et me ruine
je sais par cœur aussi de lumineux parcours
des chemins enchantés qui mènent à l’extase
je sais parc cœur toutes les courbes de ton corps
ses failles ses clartés ses ombres et ses doux lavis
je te connais par cœur et même sans mémoire
je t’aime encore et toujours
pour finir en beauté cette dernière rengaine