Barroco tropical
« L’essentiel – comme l’a sûrement déjà écrit Paulo Coelho, et s’il ne l’a pas encore fait il le fera – s’exprime rarement avec des mots », affirme Bartolomeu Falcato, personnage central de Barroco tropical, le plus récent roman de l’Angolais José Eduardo Agualusa, non sans humour à l’endroit du Brésilien le plus lu de la planète.
Et pourtant, avec des mots, il va souvent à l’essentiel, même s’il lui faut souvent emprunter divers détours, enquêter, et pour cela rencontrer des personnages hors du commun, hommes glauques ou repoussants, femmes sublimes, troublantes et troublées. Ce n’est, en effet, pas tous les jours qu’une femme tombe du ciel et Bartolomeu, journaliste et écrivain aux prises avec des choix dont il ne mesure pas encore toute la portée, voit dans ce geste un signe qu’il lui en faut comprendre le sens en même temps qu’il est temps pour lui de voir clair dans sa propre vie en déroute.
Cela donne lieu à un roman fouillé et touffu, où se font face une pléiade de personnages qui ont tous à voir les uns avec les autres, même si au départ on n’était pas porté à le croire tant ils semblent émaner d’univers parallèles. Qu’ont en effet en commun une vieille Brésilienne de 80 ans qui cherche un jeune mari, une chanteuse acclamée dans le monde entier, des anges noirs, une fillette-chien, une ancienne Miss Angola et tant d’autres? Plus que vous ne pouvez l’imaginer…
Une fois de plus, le romancier angolais nous convie à un jeu de pistes fascinant qui dépasse les frontières et dont l’universalité n’est pas à démontrer, malgré le fait que l’action soit ancrée dans le sol angolais, tant il sait nous montrer le visage des humains, autant leur mansuétude que leurs bassesses. N’hésitant pas à faire preuve d’humour par des phrases comme celle-ci, « La dernière personne à faire des discours aux poissons fut le père Antonio Vieira et il semblerait qu’il n’ait eu aucun succès », Agualusa cite volontiers ce dernier, auteur portugais du XVIIe siècle, ainsi que Mia Couto, auteur mozambicain qui a, avec quelques autres, permis à la littérature de la diaspora lusophone africaine d’obtenir la visibilité qu’elle mérite.
Même si Bartolomeu affirme « Je le regrette infiniment, mais il est absolument impossible d’expliquer le mot saudade à qui n’est pas de notre langue », Agualusa nous en donne une si bonne idée que toute personne sans la moindre goutte de sang portugais dans les veines devrait en saisir les nuances grâce à ce superbe roman atypique, à l’instar de ses précédents titres. Un roman à offrir à qui cherche dépaysement, climat, personnages bien campés et écriture imagée autant qu’imaginative. Par celui qui nous a donné Le marché de passés, La saison des fous et Les femmes de mon père.