Avec Supervielle 1
Quand la lectrice peinte par George Goodwin Kilburne a décidé d’ouvrir La fable du monde de Jules Supervielle, ce sont presque trente ans qui se sont effacées d’un coup. Je me suis revue, jeune étudiante à l’Université de Montréal, alors que celle qui nous enseignait la linguistique en première année se servait des poèmes de celui-ci pour illustrer les nombreuses règles de grammaire par des exemples. Et je me suis souvenue de cette émotion de départ, de cette première fois. De ces premiers mots qui ont fait que j’ai tout de suite su que toujours j’aimerais Supervielle. Et toutes ces années n’ont rien changé. J’aime toujours Supervielle.
Je suis donc heureuse que la lectrice de ce soir ait choisi d’ouvrir La fable du monde et de l’offrir aux lectrices qui viendront ces prochains soirs. Heureuse aussi qu’elle ait choisi ce texte :
C’est vous quand vous êtes partie
C’est vous quand vous êtes partie,
L’air peu à peu qui se referme
Mais toujours prêt à se rouvrir
Dans sa tremblante cicatrice
Et c’est mon âme à contre-jour
Si profondément étourdie
De ce brusque manque d’amour
Qu’elle n’en trouve plus sa forme
Entre la douleur et l’oubli.
Et c’est mon cœur mal protégé
Par un peu de chair et tant d’ombre
Qui se fait au goût de la tombe
Dans ce rien de jour étouffé
Tombant des autres, goutte à goutte,
Miel secret de ce qui n’est plus
Qu’un peu de rêve révolu.