Lali

16 septembre 2006

Quand l’Histoire s’assied à notre table

Filed under: Ailleurs — Lali @ 8:01

procope

Le Procope n’est pas le meilleur restaurant de Paris, mais il en est le plus vieux. À proximité de la Comédie Française, il a d’abord attiré chez lui les comédiens avant ou après des représentations. Puis, hommes de lettres – Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Denis Diderot – ont défilé. Certains prétendent même que c’est là qu’aurait germé l’idée de l’Encyclopédie et que Benjamin Franklin y travailla à écrire la constitution américaine.

Alors, c’est bien l’Histoire qui nous attire la première fois au Procope, il n’y a aucun doute. De penser que ce lieu a réuni les grands penseurs de ce monde lui confère un charme qu’aucun autre restaurant de Paris ne possède. Et quand je pense au Procope, je pense forcément à Émile, professeur au département d’études françaises, à l’Université de Montréal. Non pas à ses cours, car il ne m’a jamais enseigné, mais à nos longues conversations, et surtout à celle que nous avions eue au Procope en 1983. Ce n’était vraiment pas l’intention d’Émile de m’emmener là, le fin gastronome qu’il était n’allait pas trouver son compte dans une carte aussi banale, disait-il. Mais il l’a fait pour me faire plaisir, pour que je m’emballe à la pensée que j’étais peut-être assise là où se jouait trois siècles plus tôt une grande scène de l’Histoire.

Et il est vrai: le repas lui-même comme le service n’ont pas laissé de souvenir marquant. Mais mes yeux ont été servis. Le Procope offre le charme de ces restaurants installés depuis des lunes. Il offre un décor suranné de bon goût. Et il était tout à fait approprié pour discuter littérature. Et comme « tout est littérature », nous avons parlé de « tout ». Je l’entends encore me dire combien le bonheur d’autrui faisait partie de mon bonheur personnel, et combien il était important pour moi d’y contribuer. Et je crois qu’en ce sens il avait raison, et qu’en plus rien n’a changé depuis. J’ai toujours ce besoin de sentir les gens autour de moi heureux, de leur faire plaisir, de dessiner un sourire sur leurs lèvres ou de faire briller leurs yeux.

J’ignore d’où cela me vient, je sais seulement qu’il en a toujours été ainsi. Quoique j’imagine que j’ai hérité ça de ma mère, même si dans son cas, ce besoin s’adresse à un cercle plus restreint que le mien.

Et ce matin, alors que le café refroidit dans son bol, je pense au Procope et me revient en tête son escalier et les toiles représentant les grans écrivains d’une autre époque. Et ce matin, alors que le soleil hésite à percer les nuages, je revois cette soirée de la fin mai 1983 en compagnie d’Émile. Et je repense à cette longue promenade dans Paris après le restaurant, à cette minute où il m’a mise dans un taxi, en notant la plaque d’immatriculation, avec ordre de lui téléphoner sitôt que je serais à Maisons-Alfort. Émile avait une fille de mon âge, je l’ai rencontrée deux ans plus tard par un ami commun. Toute petite, la planète. Et le Procope n’est finalement qu’à six heures d’avion, si on y pense bien.

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