Quand la grande dame s’est éteinte
C’est le poète Bruno Roy qui m’a annoncé le décès de la grande dame de la littérature Anne Hébert, en 2000. Il venait souper à la maison et il avait appris la nouvelle dans la voiture. Il était encore bouleversé, lui qui l’avait côtoyée à quelques reprises.
De mon côté, j’avais pour tout souvenir autre que ses romans et ses poèmes qui avaient jalonné ma vie depuis l’adolescence le visage de cette femme si belle, même à 80 ans, qui m’avait embrassée à un de ses lancements et qui avait eu la gentillesse de me dire que si elle avait mieux supporté les éclairages, elle aurait aimé m’accorder une entrevue pour la télévision, car elle avait vu à quelques reprises à quel point je respectais les écrivains et leur travail. Avant même que l’idée puisse me traverser l’esprit. J’aurais probablement été trop timide pour en faire la requête. La grande dame m’a impressionnée non pas parce qu’elle était Anne Hébert, l’auteur de Kamouraska, ou promise au Nobel de littérature qu’elle n’a jamais eu, mais par son naturel, sa simplicité, son empathie visible alors qu’on disait d’elle qu’elle n’aimait pas les foules ni les flaflas, et encore davantage qu’elle était inaccessible.
Et pourtant, elle ne l’était pas. Pas ce soir-là. Pas cette minute où elle a croisé mon regard alors que je n’osais m’approcher et qu’elle a fait signe à son attachée de presse de nous présenter. Ni les minutes qui ont suivi et qui ont illuminé ma vie. Celle qu’on disait sauvage n’était que timide. Et c’est peut-être ce qu’elle a reconnu d’elle en moi dans mes entrevues télé, la timidité et le respect pour la vie intime des gens à laquelle je ne faisais jamais allusion – à l’heure où la mode était de demander à tutti quanti de l’étaler en faisant des écrivains des bêtes de cirque alors qu’ils sont habités par une solitude pleine et riche qui les nourrit. Ou autre chose que je ne saurai jamais. Peu importe. Ce fut un moment magique, un moment de partage entre une jeune femme qui avait une passion pour les écrivains et leur travail et une grande dame qui avait inspiré plus d’un parmi ceux qu’elle avait eus en entrevue.
Et quand Bruno a annoncé la nouvelle, j’ai dû devenir aussi blanche que la craie. Il m’a serrée contre lui, m’a demandé d’aller chercher ses poèmes. L’un après l’autre, nous avons lu à haute voix quelques lignes de la grande dame de la littérature. Et fait silence. Ça reste un moment marquant que deux poètes se recueillent aisnsi à la mémoire de celle qui les avait inspirés plus d’une fois dans leur vie.
Et de tous les poèmes qu’elle a écrits, c’est toujours à celui-ci que je reviens. Celui qui avait troublé mes 15 ans, celui qui avait inspiré une série de dessins au peintre Jean McEwen, celui que j’ai lu ce soir-là.
Il y a certainement quelqu’un
Il y a certainement quelqu’un
Qui m’a tuée
Puis s’en est allé
Sur la pointe des pieds
Sans rompre sa danse parfaite.
A oublier de me coucher
M’a laissée debout
Toute liée
Sur le chemin
Le cœur dans son coffret ancien
Les prunelles pareilles
À leur plus pure image d’eau
A oublié d’effacer la beauté du monde
Autour de moi
A oublié de fermer mes yeux avides
Et permis leur passion perdue
Merveilleux témoignage. De cet écrivain, je ne connais que le nom, faute peut-être d’avoir rencontré quelqu’un qui m’en parle si bien.
Comment by sistereden — 27 novembre 2006 @ 11:23
Après votre hommage à Monique Bosco, je découvre avec attention votre site. Merci également pour cette page consacrée à Anne Hébert. En un regard, vous avez compris qui elle était. Il faut absolument chasser des esprits que c’était quelqu’un d’inaccessible. Son travail était sa priorité. Mais elle savait faire preuve d’une immense générosité. Elle avait une sensibilité à part. J’ai toujours été fasciné par sa beauté éblouissante et tout ce qu’elle dégageait. On ne pouvait qu’être impressionné face à cette grande dame. Passer un moment avec elle, c’était passer un moment magique et inoubliable.
Je me souviens de ce jour de janvier 2000. J’ai appris son décès par un email d’une amie québécoise. Quel choc ! Ne voulant pas y croire, j’ai allumé la radio et entendu l’annonce de son décès. Et là, j’ai été confrontée à la réalité. Je devais poursuivre ma vie sans elle… C’est la personne qui a le plus influencé ma vie et qui restera à jamais dans mon coeur. Voilà, moi aussi, j’ai rendu hommage à cette grande dame.
Comment by Sophie Ronay — 8 décembre 2007 @ 3:40