En vos mots 251
Elle s’est emmitouflée. Pas question pour la lectrice de l’artiste ukrainienne Tatiana Yablonskaya de mettre le nez dehors. Il a peut-être neigé. Ou le sol est-il couvert d’une fine couche de verglas. Ou peut-être fait-il si froid que rien qu’à l’idée de sortir elle a déjà froid.
Elle restera donc au chaud toute une semaine. Dans la même pause. Afin que vous puissiez lui prêter votre voix, vos mots. Ce n’est que dans une semaine que nous les lirons, comme le veut l’habitude.
Au plaisir de vous lire.
La grippe, lentement, a desserré son étau de feu, de plomb. La fièvre a cessé de battre dans sa tête, son dos s’est détendu, l’eau sucrée additionnée d’aspirine attend sur la table de salon, et les oranges, dans la cuisine, mettent leur tache de lumière sur le formica bleu de gel. Impression de fraîcheur due à l’eau de Cologne, qui imprègne la chevelure, et de chaleur, grâce à la couverture brodée. Un livre. Quel livre prendre, dans la bibliothèque, qui accompagne les heures sacrées de la convalescence? Quelle douce compagnie pour les matinées douillettes, les siestes de l’après-midi et l’heure inquiète du crépuscule? Au fur et à mesure que le temps passe, la souplesse revient dans ses membres, son esprit retrouve sa clarté et l’envie de plonger dans ses auteurs préférés l’a reprise… « Pavillon des cancéreux », « Mémoires d’un jeune médecin », « Docteur Jivago », une nuit avec Pouchkine dans les rues de Saint-Pétersbourg… Et par-dessus tout, la merveilleuse déclaration d’amour de Pierre Bézoukhov à Natacha dans « La guerre et la paix ».
Comment by Pivoine — 29 janvier 2012 @ 12:18
Elle se pose un instant, sans oser enlever son cache-poussière: et si quelqu’un allait venir? Elle reprend son ouvrage tant de fois délaissé. Elle dit « ouvrage », elle ne dit jamais « livre ». « Ouvrage » s’apparente davantage au tricot ou à la broderie. A un passe-temps utile, et en tout cas permis. Ses lectures: une somme de moments volés. Elle a parfois du mal à se souvenir. Toutes ces bribes mises bout à bout forment-elles vraiment une histoire? Elle se sent si morcelée. Comme son travail, ses gestes éparpillés. Comme sa vie. Faite de bric et de broc. De bric-à-brac. De morceaux rapiécés. Un puzzle trop simple demandant peu d’intelligence, mais il y manque plusieurs pièces: il ne pourra pas être terminé. Un casse-tête qui a l’air simple, mais il ne faut pas s’y fier. Il exige la plus angélique des patiences. Sur ses genoux le patchwork presque achevé, ne le sera peut-être jamais. Il lui tient chaud, la rassure, en ces jours frileux. Mais sa véritable raison d’être, bien sûr, est d’avoir toujours sous la main une protection, un subterfuge. En cas d’invasion ennemie, elle l’a, son ouvrage de dame, sa « couverture ».
Hier il lui est venu une envie plus folle et plus forte encore que de s’asseoir dans le fauteuil pour lire. Avec tous ces fragments qui l’habitent, elle a eu … oui, elle ose à peine y penser, elle a eu le désir d’écrire! Est-elle délirante, malade? Bonne à interner, maniaque, névrosée? Mais pourquoi serait-elle raisonnable? Pour qui? Demain elle s’achètera, prenant dans ses économies, un stylo tout neuf et une rame de papier sentant bon l’imprimerie. Elle ira à la ville voisine pour ses emplettes. On a si vite fait de jaser. Elle rentrera, discrète. Pour se donner bonne conscience, elle enlèvera d’abord un peu de la poussière du rebord de fenêtre. Peut-être passera-t-elle la serpillère dans le salon, d’une main un peu plus fébrile que d’habitude. Puis, comme une malfaitrice, le plaid sur les genoux, elle s’assoira. Le volume prêt à tout, entre autres au camouflage, recèlera innocent, une feuille intacte et blanche parmi ses pages.
Comment by Anémone — 31 janvier 2012 @ 17:46
Il me revient sans cesse cette nuit de janvier. Depuis dix ans que le sourire d’Antoine ensoleillait ma vie.
Je n’avais jamais connu d’autres hommes que ceux qui passent, un soir, de temps à autres, pour quelques heures. Et s’en vont, en amenant avec eux tous les bouquets de promesses qu’ils oublient aussitôt leurs corps assouvis. Moi j’aurais bien aimé qu’ils restent encore quelques instants. Le temps d’embellir mes souvenirs de quelques tendresses. Rien à faire. Puis, quand on n’a connu que cela, on finit par s’y faire. Ou presque.
Puis un jour, lorsque des regards se croisent, que des lèvres se touchent en oubliant les mots et que des doigts tremblants parcourent votre peau, comme s’ils découvraient le monde pour la première fois, et que, les yeux fermés, on entend murmurer je t’aime avec la suavité des aurores qui illuminent la chevelure de la mer, alors qu’on savoure vos lèvres comme un fruit rare, vous vous apercevez que votre vie vaut en peu plus que quelques instants de plaisir charnel vite rangés dans la mer de l’oubli.
Antoine sonnait à mon cœur comme un soleil au cœur de l’été.
Puis est venue cette nuit de janvier. Il avait travaillé tard. Je l’attendais. Jusqu’à ce qu’on sonne à ma porte. Quelqu’un, en état d’ivresse, n’avait pas respecté un feu rouge.
Et ma vie à jamais brisée qui s’accroche à mes souvenirs. Pour ne pas mourir.
Comment by Armando — 4 février 2012 @ 12:38
Il n’est jamais trop tôt pour lui donner le goût de la lecture, se dit-elle, car elle avait lu Daniel Pennac et en avait été fort impressionnée.
Aussi est-ce à haute voix qu’elle découvrait, de sieste en biberon et de biberon en sieste, tous les livres de la bibliothèque communale.
C’était bien sûr moins rapide qu’une lecture silencieuse, mais c’était pour la bonne cause, n’est-ce pas?
Comment by Adrienne — 4 février 2012 @ 15:07
« Aimer un enfant est un cercle sans fin. Plus on l’aime, plus on reçoit, et plus on a envie de l’aimer… » Pénélope Leach.
Comment by Denise — 5 février 2012 @ 8:02
Ce n’est pas la coutume, peut-être, de commenter les textes… Enfin, les illustrations « mots », mais j’adore quand même les découvrir le dimanche après-midi …
Comment by Pivoine — 5 février 2012 @ 11:24
il n’y a donc que Denise et moi qui avons cru voir un poupon sur le bras gauche de la dame?
😉
Comment by Adrienne — 6 février 2012 @ 13:09
Oui, Adrienne! Il me semblait bien que c’était un nouveau-né… 😉 et j’aime beaucoup le toile!
Comment by Denise — 7 février 2012 @ 9:25