En vos mots 915
Comme les semaines passent vite! Beaucoup trop vite, devrais-je dire. Je n’arrive jamais à faire le quart de ce qui est au programme du jour. Mais le pays de Lali est toujours vivant, et c’est important pour moi qu’il le soit.
Et en ce premier dimanche de novembre, j’ai choisi pour vous cette illustration de la Brésilienne Jana Glatt afin que vous la fassiez vivre en vos mots, comme vous le faites si bien semaine après semaine depuis de nombreuses années.
Comme le veut l’habitude, aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc plus que le temps de lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier et d’écrire quelques lignes. C’est avec plaisir que nous vous lirons.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Lisbonne, 10 novembre 2024
Ma chère B.,
En quittant la ville carte postale, ces quelques mots de Ousmane Diop, « Quand j’étais petit, je croyais que chaque pays avait ses propres couleurs », sont venus effleurer mon esprit. Comme une évidence.
Et saudade.
Je n’ai jamais eu assez de recul émotionnel pour pouvoir comprendre si ce sont les gens qui nous font aimer les villes ou si c’est le contraire. Ce qui est certain, c’est qu’à chaque départ je laisse des gens que j’aime. Sans tous ces pourquoi ni les comment. Puisque je les aime.
Et saudade.
Les souvenirs sont comme un boomerang qui nous revient, sans cesse, depuis les larmes de l’enfance jusqu’à celles de nos départs. Aux promesses de revenir.
Aux futurs qu’on dessine dans nos cœurs pour mieux embellir le présent. Sur mes photos, vos sourires se dessinent sur mes lèvres. Demain encore, comme des enfants que nous ne sommes plus, on dessinera avec les crayons du bonheur les mêmes mots dans le cahier de nos vies.
Et saudade.
Faut dire que j’ai lu des livres depuis la poésie triste de Joaquim Jorge de Oliveira à L’esclave Isaura de Bernardo Guimarães en passant par La Moreninha de Joaquim Manuel de Macedo, et je n’ai jamais trouvé d’autres mots qui disent mieux ceux qui se promènent dans mes silences dormants.
Ni même dans la voix de Renée Claude lorsqu’elle chante le poète du carré Saint-Louis, ni dans celle de celui qui prétend que « Tout le monde veut une boîte de chocolats, et une rose à longue tige », aucun mot ne sait dire avec autant de justesse celui que je porte en moi.
Saudade… ce mot fait de larmes et de rires. Triste souvent, joyeux fréquemment, nostalgique toujours. Ce mot unique qui n’en est pas tout à fait un, puisqu’il est le sentiment qui sommeille dans le plus profond de l’âme de chacun de nous.
Ce mot, comme un fil d’Ariane invisible, qui nous permet de nous retrouver, chaque fois qu’on y pense.
Saudade. Et un baiser tendre sur ta joue. Comme une étincelle d’amour. Qui ne veut pas dire son nom.
Je t’embrasse.
A.
Comment by Armando — 4 novembre 2024 @ 23:59
Aujourd’hui, j’ai effectué quelques recherches dans ma bibliothèque. Car mon amie Lali m’a proposé de parler du Brésil. Et je ne connais pas le Brésil. Ou plutôt, quand je pense Brésil, j’entrevois plein de choses. Mais je ne les ai jamais vues en vrai. Seulement en images. Je ne puis que les imaginer. Et tenter de développer un imaginaire aussi grand que ce vaste pays lui-même.
Malheureusement, nourrie dans ma jeunesse par les chansons de Lavilliers, ainsi que par les bidonvilles des favelas évoqués par Nougaro et par quelques films, je me retrouve d’abord surtout sensible à la pauvreté (alors que le Brésil serait la huitième puissance économique mondiale!). Sensible aux déferlements de la violence. Aux débordements en tous genres gangrenant les quartiers pauvres. Aux désordres physiques et mentaux qui les pervertissent et les dégradent au quotidien. Aux excès du carnaval, mais aussi de tous les jours. Aux sordides trafics d’armes et de drogue. À la prostitution sauvage de tous bords. Et aux décharges, véritables chancres urbains, dans lesquelles des femmes et des enfants grattent et s’abîment les ongles pour trouver quelques objets de rebut encore vaguement utilisables. La pacotille, artifice du pauvre, complète le tableau, accompagnée du bruit incessant de cette ville qui ne dort jamais, veillée de façon plus ou moins efficace par le Christ Rédempteur de 38 mètres perché imperturbable et protecteur tout en haut du Corcovado.
Ce nom de Corcovado me fait curieusement toujours penser au sucre de canne, dont le nom est en réalité Muscovado, issu des Philippines et de l’Île Maurice. Alors que le sucre complet du même genre produit au Brésil, et en Amérique du sud en général, est appelé Rapadura.
Evidemment, cette incursion gourmande me dirige en droite ligne vers ce qui m’apparaît comme presque une sorte d’emblème du Brésil: le café! L’arôme du Santos est bien connu, mais la diversité des variétés cultivées au Brésil est énorme, et préside à de savants et multiples mélanges qui font la réputation du breuvage délicat résultant de ces récoltes.
La récente référence au Christ Rédempteur m’oriente tout naturellement je m’en rends compte vers la religion, la foi, les rites. Qui sont à la mesure de tout le reste, c’est-à-dire sans mesure. Ils sauvent toutefois probablement certains et certaines de davantage de déperdition et de dépravation. Un excès peut parfois en modérer un autre. Dans l’exagération, tout ne semble pas vain.
L’évocation du Pain de Sucre, cette éminence qui doit son nom à sa forme, me conduit à considérer à présent les beautés naturelles de cet état immense, et la qualité de son environnement.
Quand je songe cependant à la destruction massive de la magnifique forêt amazonienne et de sa faune, force est de constater que le désastre est à la taille du territoire. Et tout cela pour le gain. Huitième puissance économique mondiale! Je lis dans un article que, si le PIB de l’Inde est plus important que celui du Brésil, la population de l’Inde est nettement plus nombreuse, et que donc si on considère le PIB par habitant, le Brésil est bien plus riche que l’Inde. Comme si les ouvriers et les agriculteurs profitaient tout comme les couches aisées de cette situation mirobolante, et comme si on pouvait tout simplement diviser le PIB par le nombre d’habitants! Que ce soit au Brésil ou en Inde, et même presque partout, ce genre de calcul ne rend tristement et aucunement compte des différences colossales de revenus dues à l’abomination et à l’aberration d’un système capitaliste qui ne pourra éternellement perdurer.
Poursuivant mes investigations, je constate que la musique m’obsède et ne quitte pas mes oreilles, et qu’insensiblement j’ai commencé à me balancer agréablement sur ma chaise. Antonio Carlos Jobim, Tom Jobim, João Gilberto, Astrud Gilberto, Gilberto Gil, Chico Buarque, Sérgio Mendes, Chico César, Elis Regina, Maria Bethânia, Eliane Bastos, Jorge Ben Jr, et tant d’autres impriment à mon corps un mouvement que je ne pourrais raisonnablement réprimer, et je me laisse emporter par les rythmes dansants de la samba, ou de la bossa nova. Sur la musique des cariocas.
Comme le Portugal, le Brésil célèbre dans la musique sa mélancolie. Mais beaucoup plus souvent sur des tempos joyeux que sur des mélodies tristes. Je me souviens soudain aussi très nettement de ma découverte émerveillée lors de mon adolescence des Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos, que j’avais entendues à la radio. L’émotion m’avait étreinte immédiatement.
Nombre d’européens sont tombés sous le charme du Brésil. J’ai donc tort de n’en avoir vu au premier abord qu’une image outrancière de misère, de corruption et de déliquescence. Plusieurs chanteurs français chantent ce pays, de Dario Moreno à Moustaki et Nougaro ou Lavilliers nommés plus haut, en passant par Sacha Distel ou Nino Ferrer et son émouvante Rue Madureira. Et j’en oublie.
Moustaki en particulier, qui vécut au Brésil et rencontra plusieurs des musiciens et chanteurs précités, fut ainsi que Nougaro et Pierre Barouh un précieux passeur de la musique brésilienne dans le monde francophone. Non seulement par l’introduction des rythmes musicaux, mais en tant que traducteur et parolier attentif à rendre l’esprit des paroles originales. Par ailleurs, je trouve qu’il a contribué avec succès à offrir une autre image du Brésil que celle de la misère. Il y célèbre le soleil et la fête, une joyeuse exubérance plus que l’excès, dans les plaisirs librement exprimés de la chair et des sens. Un musicien brésilien que j’ai connu m’avait rapporté avec une certaine fougue et une certaine ardeur les mêmes impressions. Il regrettait qu’en Europe les gens, cultivant davantage la discrétion et le chacun pour soi, se montrent nettement moins chaleureux et moins spontanés que dans son pays natal. L’ambiance de là-bas lui manquait. D’ailleurs il me disait: Au Brésil, il y a de l’ambiance tout le temps et partout! Rien à voir avec ici!
De par son amitié avec Jorge Amado, Moustaki que j’affectionne particulièrement, m’entraîne inévitablement vers la littérature. J’imagine soudain une accueillante librairie au Brésil, et les différents noms d’auteurs qui s’y étalent généreusement: Aluísio Azevedo, José Mauro de Vasconcelos, Clarice Lispector, Paulo Coelho… et tant d’autres à nouveau. Dans la librairie aux murs colorés que je visualise, dans une rue où comme Nino Ferrer je ne suis pourtant jamais allée, les lecteurs et lectrices ont divers âges et manifestent divers intérêts. Tous sont absorbés dans leurs recherches ou leur lecture, grappillant quelques lignes ou quelques pages afin de fixer leur choix, ou simplement pour le plaisir. Celui de côtoyer les livres, et aussi leurs semblables humains, dans une ambiance de ravissement et même d’allégresse.
Mes divagations me portent tout naturellement ensuite vers d’autres formes d’art. À commencer par l’architecture. La première fois que j’entendis parler d’un certain Oscar Niemeyer, c’était au Havre, en France! C’est là, en contemplant l’espace culturel qu’il y avait créé sous le nom du Volcan, que j’appris son rôle prépondérant entre autres dans la construction de Brasilia, et que je pris connaissance de son influence sur nombre d’architectes brésiliens ou étrangers. Quant à la peinture, j’avais au moins déjà entendu les noms de Manuel Dias de Oliveira ou d’Alfredo Volpi, mais je découvrais sans surprise que les artistes brésiliens était aussi nombreux que talentueux. Jana Glatt, en particulier, attira mon attention parmi les peintres et illustrateurs contemporains, car une de ses illustrations me faisait furieusement penser à la librairie que je m’étais représentée!
Les informations glanées dans la bibliothèque (j’aime dire bibliothèque, même si au risque de vous décevoir il s’agit ce soir de ma bibliothèque virtuelle) m’ont permis de recomposer les pièces du puzzle et de trouver les mots qui rendent hommage, ou en tout cas dépeignent le plus fidèlement possible pour moi ce pays grandiose qu’est le Brésil. Finalement, j’en connaissais déjà un bout. Mais grâce à mes recherches, l’image et les connaissances que j’en ai sont maintenant plus richement et plus complètement reconstituées. Tout comme Nino Ferrer, sans y avoir jamais mis les pieds, je n’oublierai jamais maintenant à quoi ressemble la baie de Rio, ni toutes ces figures et paysages réveillés par cet enthousiasmant voyage. Voyage qui fut en même temps constamment musical (c’est l’avantage des bibliothèques virtuelles qui ne se doivent pas d’être silencieuses, bien au contraire) et que je termine en réécoutant la n°5 des Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos. Avec, ô merveille, toujours le même frisson de délice que lorsque j’avais dix-sept ans. Ou peut-être quinze.
https://www.youtube.com/watch?v=2_r8KMzeA4o
https://www.youtube.com/watch?v=pUCuEd1tjCg
Comment by anémone — 6 novembre 2024 @ 23:27