Les samedis soirs
Elle me parle parfois de ses samedis soirs, des livres qu’elle dévore et qui lui tiennent lieu d’amis. Elle me parle d’eux avec des mots tellement doux et les yeux attendris. Ses lectures n’ont rien de celles de ses collègues, si bien que quand l’une ou l’autre se met à discourir en long et en large sur le roman à la mode, qu’elle sait qu’elle ne lira pas, elle fait semblant d’écouter. Elle pense à ceux qui l’attendent, livres dénichés dans les librairies d’occasion, livres d’une autre époque, livres de toujours laissés pour compte parce que tout passe, livres auxquels elle s’abreuve comme à l’eau d’un puits intarissable.
Elle me parle parfois d’auteurs aux noms exotiques. Elle glisse dans sa conversation des titres aussi beaux que des poèmes. Et je l’écoute. Et je l’écouterais des heures et des heures. Elle aime tant les livres et ceux qui les écrivent.
Elle me parle d’un recueil de nouvelles paru il y a peu chez un petit éditeur. Elle est triste. Elle sait que le trésor passera inaperçu et qu’il n’y a qu’à moi qu’elle peut en parler. Celles qui l’entourent ne lisent que ce qui est conseillé dans la presse.
Elle me parle de ce poète qui a inspiré un peintre suisse qui vit à Montréal et dont elle apprivoise l’écriture hermétique. Elle me parle des mots qui s’entrechoquent, des idées qui se confrontent et les poèmes deviennent magma quand elle s’abandonne à dire ce qu’elle ressent.
Elle me parle de ses samedis soirs. Et elle me regarde intensément. Elle sait que les miens ont la couleur des siens.
*sur une toile du peintre néerlandais Harald Veenstra
