En vos mots 963

Je passe de longues minutes chaque semaine dans ma galerie personnelle constituée de tableaux, de sculptures et d’illustrations ayant pour thème la lecture et les livres afin de trouver la scène livresque que je vous proposerai afin que vous la racontiez en vos mots.
Le choix n’est jamais facile, tant j’ai des provisions. Mais je finis toujours par trouver. Cette semaine, c’est une toile peinte par John Anster Fitzgerald que j’ai choisie, en espérant qu’elle vous inspirera quelques lignes. Et comme le veut l’habitude, aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc amplement le temps de lire les textes déposés sur la toile de dimanche dernier avant d’écrire. C’est avec plaisir que nous vous lirons dans sept jours.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Elle en a lu suffisamment pour comprendre qu’il s’agit d’un refus en bonne et due forme, et elle n’a pas le courage de continuer la lecture de la lettre qu’elle tient d’une main qui tremble.
Elle aurait peut-être dû être plus précise. Plus franche. Expliquer mieux les choses. Donner quelques détails qui auraient fait pencher la balance.
Mais elle a maquillé la vérité. Par honte. Rien que d’y penser, elle en a le feu aux joues.
Elle a parlé du fait qu’elle avait été souffrante, et qu’un climat plus doux lui ferait le plus grand bien. Surtout à l’approche de l’hiver, si rude ici. Elle a avancé comme argument qu’à la maison pendant la morte saison, on pouvait se passer de ses services, et qu’elle constituerait pour ses parents au contraire une charge. Elle a évoqué le besoin de se reposer. Et elle a exprimé aussi le souhait d’apporter sa contribution par des activités moins lourdes que le labeur de la ferme, et moins physiques que de peiner jusqu’à l’épuisement dans les champs. Elle pouvait donner des cours élémentaires aux enfants par exemple. Ou proposer d’effectuer des travaux de couture.
Peut-être, à force de traficoter la réalité, ses propos avaient-ils paru confus, avaient-ils manqué de clarté? Mais comment dire à sa tante, en la priant de bien vouloir l’héberger pour quelque temps, que celle-ci avait un frère abuseur, violeur, coupable sans vergogne d’infamie et d’inceste? Et que sa belle-sœur, asservie, ne protégeait en rien sa fille? La solidarité féminine ne se jouait-elle que dans la soumission, la docilité, et le silence?
Commentaire by Anémone — 11 octobre 2025 @ 10:03
C’était une si longue missive. La première de toute son existence. Faut dire qu’en ce temps-là, tout était encore à faire. Le temps prenait son temps. Il n’y avait que les rêves de quelques fous qui dessinaient un monde à venir. Malgré les sceptiques et les incroyants. Qui ricanaient, le plus souvent, de ces rêveurs de l’avenir.
C’était une si belle missive. Une calligraphie harmonieuse et un frisson de jamais vu. Faut dire qu’en ce temps-là on avait le temps d’écrire. On avait des choses à dire. On pensait à la portée des mots avant d’entendre le doux grincement de la plume sur la feuille de papier. Ce chant de la plume, qui transforme les pensées en mots.
Puis, entre Québec et Montréal, il fallait tant de jours. On s’arrêtait à Trois-Rivières. En ce temps-là, on s’inquiétait quand on partait en voyage. Les distances se comptaient en jours. Et ni Pedro da Silva ni Albert Jackson n’auraient jamais imaginé que la trace de leurs vies serait dessinée, en lettres d’or, dans la mémoire du temps.
C’était une si douce missive. Elle lui parlait d’un monde à deux. Rien qu’eux. Et d’un bonheur. Puisque « ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront… », comme l’avait écrit le poète Du Bellay.
Les poètes disent les bonheurs et les malheurs du monde mieux que les mots peuvent le dire.
C’était une si précieuse missive. D’un temps oublié. D’un temps où l’amour s’écrivait. D’un temps où, « le cœur le disait assez, mais la langue restait muette ». À en croire Ronsard. Et entre le temps de l’écrire et le temps de le lire, il y avait le silence. Le silencieux voyage des mots. Il y avait l’inconnu. Qui brise si souvent des vies. Il suffit d’un pas grand-chose. Une simple missive qui ne retrouverait pas son chemin.
Commentaire by Armando — 12 octobre 2025 @ 0:08