En vos mots 887
Les fillettes qui lisent sont inspirantes. Elles me rappellent combien j’aimais lire, combien j’étais insatiable, et à quel point j’avais besoin d’avoir une bonne provision de livres. C’est pourquoi je vous propose une autre jeune lectrice à raconter en vos mots, comme vous le faites si bien semaine après semaine.
Cette jolie scène de lecture en bleu est signée Phoebe Dickinson. Ne vous précipitez pas, prenez le temps de l’examiner en détail avant d’écrire. Il n’y a aucune urgence. En effet, aucun texte ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc plus que le temps de lire les textes déposés sur la toile de dimanche dernier, et même de les commenter.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Viola lisait. Mais les examens scolaires étaient proches. Sa conscience lui reprochait un peu, oh si peu, de ne pas se monter plus studieuse. Toujours elle tenait non loin d’elle sur le canapé ses cours bien en évidence. Au cas où l’un de ses parents serait passé à proximité. L’ouvrage qu’elle tenait en mains n’avait toutefois rien à voir avec la matière à connaître. Son contenu lui paraissait pourtant tellement plus important! On n’apprenait pas du tout la vie à l’école. Où l’aurait-elle donc apprise, sinon dans les livres, et dans la nature?
Viola était en vacances. Mais les épreuves de fin d’année approchaient. Toujours elle gardait près d’elle sur le canapé ses cours bien étalés. Au cas où elle aurait eu la subite envie de s’y plonger. C’était rare. Elle aurait aimé sortir, se promener. Prendre l’air. Elle se trouvait si pâle. Manquant cruellement d’oxygène et de mouvement dans cette existence d’étudiante beaucoup trop sage. Mais il faisait froid. Nul moyen de prétexter qu’elle allait s’installer dehors pour se consacrer à l’étude. Alors elle se concentrait sur son livre, où l’héroïne libre et fière faisait fi des obligations et vivait sa vie, sans parents ou professeurs à qui plaire. Elle s’en allait sur les routes avec son âne, son chien et son petit singe. Les gens les nourrissaient et les hébergeaient contre quelques tours habiles exécutés par l’amusant petit primate, et quelques chansons interprétées par la jeune fille. Nora avait une jolie voix. Tous quatre vivaient de peu, mais étaient heureux. Bien sûr c’était une histoire. Dans la réalité, Viola aurait craint de se trouver ainsi confrontée au monde et à tous ses dangers. Un monde où cependant la jeune Nora était toujours en vacances. Sans examens. Si ce n’était l’expérience acquise au quotidien.
Clac! Une porte s’est refermée. Et Viola vient de changer brusquement de lecture, espérons-le pour un temps restreint. Car les pas de sa mère ont résonné, menaçants et furtifs, dans le couloir voisin.
Comment by anémone — 24 avril 2024 @ 9:53
Lisbonne, 28 avril 2024
Ma chère B.,
C’est vers la cinquième heure que je guette le ciel. Comme une sentinelle qui épie les premiers frissons d’un jour qui s’annonce.
C’est à ces heures engourdies que mes pensées voyagent. Que je m’en vais au pays de mes silences. Que j’esquisse un sourire. Que je pleure. Que je pense à tous ceux que j’ai perdus, au naufrage de nos enfances, aux regrets des choses que j’aurais pu faire autrement, et à tant d’autres choses qui m’empêchent de voir, le cœur serein, ce que vivre peut offrir.
J’observe, de mon regard ébloui, les premiers oiseaux du jour. Je me demande comment font-ils pour rester aussi insouciants?… Alors que je sais que nos vies n’ont pas plus de valeur qu’une feuille, seule et fatiguée, à la merci d’un souffle d’automne.
Quoi qu’ils nous disent, les mots enjolivés des poètes et des philosophes, je sais que nos vies sont dépendantes, malgré nous, d’une sorte de « clic » d’interrupteur.
Clic. Bonjour. Clic. Bonsoir… C’est tellement simple. À croire que Monsieur John Holmes dont tout le monde se fout jusqu’à en oublier l’existence, a découvert, par la magie d’un geste de quelques secondes, comment illuminer nos nuits. Ou pas.
Et puis l’urgence de mes chimères. Mes rêveries. Remplir les manques de mon âme, pour regarder l’aube avec le sourire de l’oiseau qui voltige insouciant, aux premiers faibles rayons du jour. Puisque leur seule urgence est de vivre l’instant et rien d’autre.
Emmurer la souffrance, c’est prendre le risque qu’elle te dévore de l’intérieur, disait Frida Kahlo. Il me faudrait perdre la mémoire. Ignorer ce qui m’encombre. Et vivre. Pouvoir nous entendre rire comme on fait un pied de nez à l’existence. Nous dire qu’on s’aime. Que les années perdues sont du néant. Avant que la vie ne se prenne pour M. Holmes et, en quelques secondes, le temps d’un clic, sourd et froid, nous plonge dans l’obscurité. Pour toujours.
Je t’embrasse.
A.
Comment by Armando — 28 avril 2024 @ 0:14