Les vers d’Albert 8
L’attente
Mon cœur est maintenant ouvert comme une porte.
Il vous attend, ma Bien-Aimée : y viendrez-vous?
Que vous veniez aujourd’hui ou demain, peu m’importe!
Le jour, lointain ou proche, en sera-t-il moins doux?
Ce n’est point un vain mal que celui de l’attente;
Il conserve nouveau le plus ancien désir.
L’inattendu bonheur dont la venue enchante
Passe; à peine en a-t-on su goûter le plaisir.
Et l’on s’en va criant l’inanité des choses,
Pour ne s’être jamais aux choses préparé;
Insensé, qui repousse un frais bouquet de roses,
Accusant le parfum qu’il n’a pas respiré.
Une heure seulement de pure jouissance,
Pourvu que Dieu m’accorde un quart de siècle entier
De rêve intérieur et de jeune espérance,
Pour méditer sur elle et pour l’étudier,
Pour ordonner l’instant suprême qui décide,
Pour que rien ne se perde et que tout soit joui
Jusqu’à la moindre miette, et que le temps rapide
S’envole, n’emportant que de l’évanoui!
Une heure suffira. J’aurai vécu ma vie
Aussi pleine qu’un fleuve au large de son cours,
L’ayant d’une heure, mieux que de jours fous, emplie;
D’une heure, essence et fruit substantiel des jours!
Mon cœur est maintenant ouvert comme une porte.
Il vous attend, ma Bien-Aimée : y viendrez-vous?
Que vous veniez demain ou plus tard, il n’importe!
Mon attente d’amour fera de telle sorte
Que mon lointain bonheur en deviendra plus doux.
Albert Lozeau, Intimité et autres poèmes
*choix de la lectrice de Nicole Ladrak