Le ciel sera bleu
Le ciel sera bleu aujourd’hui. C’est ce qu’a décrété Denise qui a pris soin d’en peindre un juste pour nous. Alors, si vous voyez autre chose que du bleu par la fenêtre, revenez vite ici. Le ciel sera bleu toute la journée.
Le ciel sera bleu aujourd’hui. C’est ce qu’a décrété Denise qui a pris soin d’en peindre un juste pour nous. Alors, si vous voyez autre chose que du bleu par la fenêtre, revenez vite ici. Le ciel sera bleu toute la journée.
Il n’y avait rien là de nouveau. Une idée l’avait tiré du lit bien avant le jour. Peut-être plus tard que d’habitude, puisqu’il n’était pas rare que ça se produise au cœur de la nuit et qu’il descende écrire pour ne pas que s’envolent les mots. Et il s’était appliqué à les déposer un à un, à les laisser vivre hors de lui. Comme il le faisait quotidiennement. Et rien ne pouvait l’arrêter tant qu’il n’avait pas épuisé l’idée ou les mots. Tant qu’il n’était pas satisfait.
C’est pourquoi l’écrivain de Friedrich Nerly aimait tant la nuit du vendredi au samedi. Il pouvait faire fi du tic tac de l’horloge et du soleil qui se lève. Il pouvait faire abstraction de toute obligation. Rien ne viendrait contrer son inspiration. Et surtout : il pourrait retourner au lit. Content de lui. Voire même heureux.
La lumière n’a pas encore envahi la pièce : il est trop tôt. Mais elle ne pouvait attendre. La lectrice de Jessica McCain devait retrouver ces vers qui lui sont venus en tête dès qu’elle s’est éveillée. C’était urgent. Et elle a souri. Sa mémoire ne l’avait pas trahie.
La lectrice de Jean-Baptiste Camille Corot a laissé faire le hasard. Elle sait qu’il est souvent heureux. Qu’il est parfois révélateur. Et c’est sur ces vers de Nelligan que le hasard l’a conduite :
PRÉLUDE TRISTE
Je vous ouvrais mon cœur comme une basilique;
Vos mains y balançaient jadis leurs encensoirs
Aux jours où je vêtais des chasubles d’espoirs
Jouant près de ma mère en ma chambre angélique.
Maintenant oh ! combien je suis mélancolique
Et comme les ennuis m’ont fait des joujoux noirs!
Je m’en vais sans personne et j’erre dans les soirs
Et les jours, on m’a dit : Va. Je vais sans réplique.
J’ai la douceur, j’ai la tristesse et je suis seul
Et le monde est pour moi comme quelque linceul
Immense d’où soudain par des causes étranges
J’aurai surgi mal mort dans vertige fou
Pour murmurer tout bas des musiques aux Anges
Pour après m’en aller puis mourir dans mon trou.
La lectrice de George Washington Lambert a déplié les feuillets. Les mots de l’aimé étaient tendres, comme chaque fois. Il ne savait qu’être tendre. Comme personne. Jusque dans cette chanson interprétée par Reggiani qu’il avait recopiée pour elle :
Dans ses yeux…
Elle avait dans ses yeux d’enfant
Autant d’avril que de décembre
Autant de flamme que de cendre
Autant d’hiver que de printemps…
Elle avait dans ses yeux changeants
Autant de soleil que de neige
Autant d’Islam que de Norvège
Autant d’Orient que d’Occident
Autant d’Orient que d’Occident…
Elle avait dans son rire clair
Autant de joie que de tristesse,
Autant d’espoir que de détresse
Autant d’étoiles que d’éclair…
Elle avait dans ses yeux vraiment
Autant de chaleur que de glace
Autant de vide que d’espace
Autant d’espace que de temps.
Elle est venue je ne sais d’où
Dans le cœur du mois d’août…
Elle a changé dans ma maison
Le cœur des saisons…
J’ai vécu dans ses yeux d’enfant
Autant de juin que de septembre,
Autant de roux que de bleu tendre
Autant d’automne que d’été…
J’ai vécu dans ses yeux changeants
Un compromis de diable et d’ange
Dans un voluptueux mélange
De mensonge et de vérité
De mensonge et de vérité…
Je suis né pour croire aux miracles
Et je cherche ma part de Dieu
De tabernacle en tabernacle
Quand parfois le miracle a lieu…
Je trouve dans ses yeux d’enfant
Autant d’extase que d’ivresse
Autant d’amour que de tendresse
Autant de joie… que de tourment
Il aime bien la trouver ainsi. Dans le bonheur d’être elle dans la douceur tiède de la nuit, alors que seuls les mots semblent l’intéresser. Il aime bien la trouver ainsi. Paisible. Dans ce décor où il entre sur la pointe des pieds pour ne pas troubler sa paix. Il aime bien la trouver ainsi. Et retenir cette image de femme heureuse pour là-bas écrire.
*toile de Gino Severini
Nous nous sommes retrouvés dehors en même temps. Le même boucan anormal nous avait tous les deux attirés. Et il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour trouver l’origine de ce tintamarre. Il y avait là, dans un des containers-poubelles un raton laveur qui s’en donnait à cœur joie et qui faisait le tri en lançant ça et là tout ce qui ne faisait pas son affaire. Nous n’en avions pas vu dans le coin depuis un an environ. Et nous n’avions eu aucun chagrin à les voir disparaître des environs.
Monsieur B. s’est mis à rire. Et franchement. Je ne comprenais pas que la présence d’un parasite bruyant puisse le faire rigoler à ce point. C’est alors qu’il m’a lu à haute voix l’article qu’il parcourait avant d’être dérangé par le bruit de verre cassé. On y parlait d’une famille de l’ouest de l’île qui avait adopté deux de ces bêtes et qui les traitait comme des animaux domestiques. Les ratons laveurs mangeaient même à table. Je n’en revenais pas. Et l’autre de rire encore plus bruyamment. Je ne voyais pas ce qu’il y avait de drôle, mais vraiment pas.
« Si on leur apportait celui-ci? » a-t-il dit.
Et nous sommes rentrés. La bête avait filé. Les restes sont sûrement meilleurs plus à l’ouest.
*sur une toile de Georgiy P. Fitingof
Peut-être qu’un jour quelqu’un finira par remarquer mon manège, même si je suis très discrète et que je joue celle qui examine les photos enregistrées sur son appareil bien davantage que les photographes cherchant un sujet. Or, la tentation est trop grande de capter la lumière comme les fleurs, les lecteurs et les lectrices sur ma route… Et tant que personne ne s’insurge et ne proteste, je continuerai…
Peut-être y avait-il des fleurs pas loin. Il faudra demander à Armando. Ce qu’on sait, c’est qu’il y avait une liseuse prise par sa lecture et un photographe qui l’a vue.
Et comme Denis avait trouvé une maison dont le parterre était plus que bien décoré, Denise a elle aussi trouvé une maison… Mais pas n’importe quelle maison!