Ne pas prendre le train à Charleroi
J’aime les gares.
Peut-être parce que je viens d’un pays où on ne voyage presque jamais en train.
Peut-être parce que les gares, c’est déjà être ailleurs.
Gares où on arrive, gares d’où on part, gares où on se donne rendez-vous.
Dès que je franchis l’océan, ma vie se calque aux horaires des trains en partance.
Paris-Liège. Comblain-la-Tour-Huy. Liège-Bruxelles. Liège-Ostende. Huy-Bruges.
Quelques trajets. Les paysages qui changent. De la verte Wallonie à la Mer du Nord.
La drache, ou un ciel si lumineux qu’il éblouit, et toutes les nuances de gris. De ma banquette, de mon siège, tout aura défilé sous mes yeux. Me laissant tantôt rêveuse, d’autres fois souriante, quelquefois nostalgique, jamais indifférente.
Si de ces gares persistent en moi les souvenirs d’horaires, d’un café bu dans les marches d’un escalier, des pas pressés des gens qui semblent savoir où ls vont, d’une valise trop lourde, il en est une que je n’oublierai jamais.
Une gare, où un train ne m’a pas emmenée. Une que je n’ai pas quittée en train pour une autre destination.
Je n’ai jamais franchi les portes de la gare de Charleroi. Je n’en connais que le poste d’attente.
Et qu’est-ce que c’était bon d’attendre, le cœur léger, ce grand gaillard venu me cueillir pour une journée à nous deux, une journée inscrite au cœur de ce périple comme une de celles où le temps a passé encore une fois trop vite, un pacte d’amitié inconditionnelle scellé.
Fabien, Fa comme la note de musique, l’alchimiste-poète adopté comme petit frère, sur le net, au fil de conversations sur la vie, sur l’écriture, sur Vian et Prévert, m’a trimballée jusqu’à Redu, le village du livre, via un petit crochet par la France. Complicité, regards, fous rires, révoltes, repas, kilomètres, paysages, nous avons tout partagé ce jour-là. Intensément. Avec la conscience que cela ne se reproduirait pas de sitôt, mais sans y penser constamment.
Il nous fallait Redu comme destination.
Il nous fallait Redu pour nous épier l’un l’autre par dessus les livres, entassés, classés, ou en fouillis.
Il nous fallait Redu pour les reliures, pour les pages noircies d’encre.
Il nous fallait Redu pour nous unir plus que jamais.
Et toujours Redu il y aura. Et la poésie.
Et nos yeux qui brillent de ce même feu.