Le pesto de Denis
Quand Denis m’a initié aux rudiments de l’art du pesto, de la cueillette du basilic dans son jardin jusqu’aux pignons du marché Jean-Talon, il savait déjà qu’il n’y aurait pas de seconde chance. Que ce souper serait le dernier et non pas celui des au revoir, le temps de son exil pour aller écrire à la campagne, dont il n’est jamais revenu.
Et chaque fois que je mange du pesto, c’est à lui que je pense. Au temps qu’il a passé avec chacun d’entre nous alors qu’il se savait condamné. Je pense à ses yeux dans les miens, inquiets, quand il avalait ses capsules d’AZT qui n’ont pas su l’épargner. Les siens souriaient, comme pour contrer ce qui se passait en moi de tempêtes.
Cet ultime soir, nous l’avons consacré à sa passion pour l’Italie, où il avait vécu. Pesto, valpolicella, promenade dans la Petite Italie et arrêt obligatoire pour le capuccino chez le Sicilien du coin. Des airs d’opéra, aussi, si je me souviens bien.
Denis Bélanger m’a fait un immense cadeau ce soir-là.
Il a fait que jamais je ne posséderai d’image triste de lui, mais toujours celle d’un amoureux de la vie et de ses plaisirs. Il s’est éteint en avril 1992, laissant des romans que je relirai peut-être un jour. Sa présence n’est pas dans ses mots, mais dans chaque bouchée de pâtes au pesto.
Il était peut-être un professeur de bonheur.