Et si la vie n’était qu’un long tricot ?
Est-ce qu’on tricote sa vie comme on tricote un chandail ? Je me posais la question tout à l’heure en accrochant mon manteau à la patère alors que mon écharpe allait subir le même sort. Une belle écharpe rouge et noire, que j’ai tricotée il y a plus de 20 ans, que je n’ai pratiquement pas portée et que j’ai retrouvée en début d’automne. Je me vois encore au Soulier de Satin, le salon des étudiants d’études françaises, assise sur le sofa déglinguée, avec la lumière tamisée, le salon déserté parce qu’il est peut-être 18h ou 19h. Et moi qui vais d’un rang de mailles à l’endroit à un rang de mailles à l’envers, qui tire sur la laine et qui compte pour ne pas oublier de changer de couleur.
La vie est-elle ainsi ? Un tricot qui s’allonge un peu plus chaque jour ? Avec des mailles à l’endroit et des mailles à l’envers ? Avec les rangs à démailler parce qu’on a fait erreur ? Avec la pelote de la laine sur laquelle on tire et qui tombe parfois par terre ? Sans parler de ces tricots qu’on ne finit pas et qui restent là, au fond d’un garde-robes, avec d’autres pelotes pour des projets qui n’auront été que des idées, mais qui seront restés en plan, va savoir pourquoi.
Oui, la vie est-elle autre chose qu’un long projet de tricot ? Un tricot dans lequel se glissent nos amitiés et nos amours, nos rêves et nos voyages, nos chansons et nos rires, nos coups de folie et nos projets avortés, nos lectures et les jours de pluie ? La vie ne serait-elle qu’une longue enfilade de mailles ?
Et les liens avec les autres ne seraient-ils pas eux aussi des tricots patiemment élaborés et construits, ce qui fait parfois dire aux uns qui pensent nous connaître: « Je te connais comme si je t’avais tricoté(e) » ?
Il suffisait d’arrêter le geste, une longue écharpe en main, un samedi matin, pour que surgisse cette analogie. Et je ne pourrais pas expliquer le pourquoi du comment. Mais je sais que j’aime à penser que j’ai encore beaucoup de mailles devant moi.