En vos mots 919
Déjà décembre… Dans trois semaines exactement, nous fêterons Noël plutôt que le 25. Un premier Noël sans mon père… Mais je ne veux pas dès maintenant penser à cela, mais plutôt au fait que nous allons tout faire pour qu’il soit beau et doux pour ma mère. Nous sommes plusieurs à y voir.
Pour l’heure, je vous propose de faire vivre en vos mots ce tableau de l’artiste australienne Natasha Junmanee. Comme le veut l’habitude, aucun commentaire ne sera visible avant dimanche prochain. Vous avez donc plus que le temps de lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier, de les commenter si vous le souhaitez et d’écrire quelques lignes. C’est avec plaisir que nous vous lirons.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Sa première pensée du matin, au réveil, est pour le livre qu’elle a abandonné la veille. Alors elle saute du lit et se précipite. Elle ne dispose pas de beaucoup de temps avant que la journée ne commence vraiment. Pas question de s’installer pour paresser longuement. Posée au bord du fauteuil, elle dérobe à ce temps qui passe trop vite tout ce qu’elle peut. Elle lit presque entre les lignes, pressée d’avancer dans l’intrigue du roman. Telle une voleuse de mots. Chaque alinéa constitue une victoire gagnée sur les chiffres du cadran.
Au propre comme au figuré, ses pieds ne touchent plus terre. Car tout en étant happés comme dans une danse par le mouvement des phrases et des paragraphes, et quoique rebelles, ils sont prêts déjà tels de bons soldats à entamer ce jour de travail. Qui sera bien rempli, comme tous les autres.
Comment by anémone — 3 décembre 2024 @ 18:26
Lisboa, 8 décembre 2024
Ma chère B.,
J’ai erré en ville cette semaine. Des magasins jaillissaient, le chahut sans âme, des chansons aux couleurs de l’époque. Je me suis attardé, avec tristesse, sur les sourires figés des pères Noël exposés dans les vitrines. Dans leurs regards immobiles, je retrouve un peu de la platitude des Noëls insipides et incolores de mon enfance.
Dieu que je déteste cette période de l’année. Enfin, je déteste plutôt tout ce que je connais d’elle depuis la solitude des années d’enfance, où, en rang bien aligné, dans un couloir froid, je m’apprêtais à recevoir mon cadeau anonyme, remis avec dédain et froideur. Une paire de chaussettes, tellement moches que j’étais heureux qu’on me les vole la nuit même. J’avais une bonne excuse pour ne pas les porter le lendemain.
Je me souviens pourtant qu’une année j’ai reçu un stylo Bic 4 couleurs. J’en avais rêvé. Comme tout le reste, on me l’a volé la nuit même. Je l’avais caché soigneusement dans mon oreiller. Le lendemain, il n’y était plus. J’ai tellement pleuré. J’ai encore la gorge nouée rien que d’y penser. Un orphelinat n’inspire pas l’amour. Quoi qu’on puisse dire. Je n’ai pas un seul souvenir heureux qui me vient en tête. Il y a des instants moins mauvais. Le souvenir de petits gestes qui ont bousculé le chemin de mon destin. Mais des souvenirs heureux?…
Je jalouse tellement ceux qui racontent des Noëls de leur enfance avec un bonheur tel qu’on dirait que chacun de leurs mots ressemble à une ces lumières scintillantes accrochées au sapin. Comme dans un tableau de Viggo Johansen, Henry Mosler ou Leopold von Kalckreuth, que je ne me lasse pas d’admirer. Pour y croire.
Quand je pense à eux, je me dis qu’ils ont dans leurs souvenirs un trésor dont ils ne soupçonnent pas l’immense richesse. Ils ne sauront jamais la douleur des rêves inachevés de l’enfance, qui perdurent dans le purgatoire de nos pensées. Je suis si heureux pour eux.
Tellement heureux qu’en les écoutant il m’arrive d’aimer Noël. Un petit peu. Puis, comme dirait Prévert: ‘Il faut essayer d’être heureux ne serait-ce que pour donner l’exemple.’ Promis. J’essaierais.
Je t’embrasse.
A.
Comment by Armando — 6 décembre 2024 @ 22:57