En vos mots 910
Qui dit dimanche au pays de Lali dit En vos mots. Pour l’occasion, je vous propose de donner vie à cette lectrice peinte par Samuel Rayner.
Comme le veut l’habitude, aucun commentaire ne sera visible avant dimanche prochain. Vous avez donc plus que le temps d’écrire quelques lignes, de lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier et même de commenter ceux-ci si vous en avez envie. C’est avec plaisir que nous vous lirons.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Elle a ouvert la fenêtre. Ce premier jour d’octobre est doux. Et elle a pris immédiatement possession des lieux, après avoir défait ses malles.
Elle n’a emporté que peu de bagages, car elle ne sait pas encore combien de temps durera son séjour. Il se peut bien qu’elle s’installe ici à demeure. Cet endroit calme lui plaît, ainsi que la vue superbe sur les champs et sur la forêt.
Mais pour l’instant quelques effets lui suffisent. Elle fera envoyer le reste si nécessaire. Depuis qu’elle a quitté la maison conjugale, où le prince charmant s’était mué soudain en un être violent et perfide, tout est empaqueté en sûreté chez sa soeur Gertrude.
Et la voilà maintenant posée dans un confortable fauteuil à bascule, ses livres les plus précieux étalés devant elle. Heureuse de sa liberté retrouvée. Libérée de cet homme que, malgré sa beauté et sa classe, elle n’avait jamais vraiment aimé. Comme si sous sa gentillesse de départ, elle avait senti poindre immédiatement quelque chose de louche, de pervers, de très peu avouable en somme. Mais elle s’était sentie bêtement poussée au mariage, vu que sa soeur et toutes ses amies avaient déjà célébré leurs noces bien avant elle.
Oui, à présent elle était libre. Délivrée du joug de ce mari qui en plus de s’être montré brutal s’était révélé volage. Elle sourit. Ici tout le monde l’a bien accueillie. Des amis de Gertrude. Les meubles fleurent bon l’encaustique et des bouffées d’air frais arrivent de l’extérieur caresser ses narines. Tandis qu’en arrivant elle a noté un délicieux fumet de soupe s’échappant de la cuisine. De plus en plus, elle éprouve qu’elle vivra parfaitement bien ici. Et il est à peu près certain que Gertrude pourra lui faire parvenir ses biens sous peu. Mais il n’y a pas urgence. Ses premiers moments dans cette auberge de campagne, où elle se sent comme en vacances, lui sont d’une telle jouissance!
Avec la rente relativement confortable dont elle bénéficie, léguée par sa marraine, elle pourra se permettre de vivre très agréablement dans cette petite pension, où sont offerts le gîte et le couvert. Elle donnera aux enfants de la famille quelques cours de français, ou de musique. Ou de peinture même s’ils le désirent. Car elle manie avec art le pinceau.
Elle et sa soeur ont eu la chance de recevoir une excellente éducation, grâce à leurs marraines respectives, des soeurs jumelles assez fortunées. Cousines de leurs parents trop tôt décédés par accident, et toutes deux sans enfants, elles avaient élevé avec amour les deux petites filles. Et Dieu merci, Gertrude qui était la plus âgée avait trouvé pour sa part un bon et fidèle mari dont elle n’avait jamais eu à se plaindre. Coline s’en réjouissait chaque jour pour elle.
Pour elle-même, elle n’est pas pressée de retrouver un prétendant avec qui partager son intimité. Rien n’a plus de prix pour l’instant, à part ses livres, que cette divine tranquillité dans cette chambre si charmante, qui est enfin rien que pour elle.
Comment by anémone — 30 septembre 2024 @ 16:28
Lisbonne (ou peut-être ailleurs), 6 octobre 2024
Ma chère B.,
J’ai beau noyer mes peines, des nuits entières, dans les chansons tristes de Peyrac je reviens toujours à ce vieux Famous Blue Raincoat, et à la voix de Cohen, comme on revient aux premières pages d’un roman qu’on à déjà lu cent fois, mais qu’on s’acharne à relire encore, dans l’espoir d’une autre fin. Et de ne pas être déçu. Malgré tout.
Comme un prisonnier qui tourne en rond entre les quatre murs de sa cellule. Qu’il connaît par cœur, mais qui continue dans l’espoir qu’un jour une brèche s’ouvre et, aveuglé par le soleil, il prend ce qui lui reste d’existence en pleine gueule. Loin de ses quatre murs si éternels. Et si éphémères, pourtant.
Il me semble que la vraie solitude tient de cela. De cette peur intérieure d’aller vers les choses parce qu’on les connait déjà. Tellement bien. On les a vues. On les a lues maintes fois. On les a même pleurées. On referme des livres pour ne plus les ouvrir. On les regarde dormir sur l’étagère et puis on se dit qu’ils auraient pu avoir une autre fin. Et pourtant. Il m’est arrivé de lire des bouquins dont la fin n’était pas la même à chaque lecture. Mais je ne le dis à personne. Je te l’avoue. En guise de confidence. Rien qu’à toi.
Les gens n’aiment pas ceux qui construisent des mondes, comme des refuges. Des mondes où ils se promènent pieds nus et s’endorment au son de musiques qu’on dirait écrites pour raconter un peu de leurs vies. Leurs blessures secrètes. Leur espoirs. Leurs rêves. Leurs solitudes.
Et il faut dire que la solitude des adultes n’a d’égale que celles des fées qui, elles, sont les seules à savoir que les fées n’existent pas pour de vrai.
Je t’embrasse.
Armando
Comment by Armando — 1 octobre 2024 @ 6:12