En vos mots 377
Serez-vous la raconteuse? Ou choisirez-vous d’être plutôt le témoin de cette scène? À moins que vous ne préfériez écrire l’histoire qui est lue ici? Libre à vous d’emprunter le chemin qui vous sied. De laisser place à votre imagination. Pour le plaisir de partager vos mots avec nous.
Et comme le veut l’habitude, aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain, ce qui devrait vous laisser suffisamment de temps pour prêter vie à cette tendre scène imaginée par William Kay Blacklock.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous!
Sous le vieil arbre près des marais, la grande sœur lit une histoire à ses petites Sœurs :
« Le bourricot sans âge, que peau et os, tirait sur son collier de toutes les forces qu’il avait déjà perdues depuis longtemps. Toute la famille de Bohémiens poussait en ce soir la pauvre roulotte enlisée dans le chemin marécageux qui menait vers les étangs.
Un peu de fumée montait du tuyau de la cheminée dépassant du toit, le volet d’une fenêtre ayant perdu un gond, pendait de travers.
Le père la mère chacun aux rayons d’une roue poussaient de toutes leurs forces, l’aînée des enfants une fille presque qu’une adulte, maigrelette dans sa longue jupe tirait le harnais de la bourrique en l’encourageant doucement de la voix.
Une bande de marmots, comme des moustiques hargneux, asticotaient la pauvre bête à coups de badines.
La nuit tombait sur les marais, le brouillard montait.
Pour soulager l’attelage, on avait fait descendre la Vieille, la Mama.
Une énorme masse de cotillons, couverte d’un foulard, pieds nus tannés par tous les chemins parcourus, qui marmonnait des incantations de sa bouche édentée, c’était l’Ancêtre.
La nuit s’avance, ils ne seront pas à l’endroit où ils ont habitude de planter campement avant la nuit noire.
Là où chaque année ils venaient couper l’osier des marais pour fabriquer des paniers.
Cahin-caha, la roulotte avançait péniblement, la vieille derrière encore plus péniblement, cueillant de temps à autre une herbe au pouvoir d’elle seul connu, un brin de bruyère fleurette qu’elle affectionnait, ou de laurier .
Plus la nuit enveloppait ce misérable spectacle, plus la distance de l’intervalle entre la vieille bohémienne et la roulotte s’allongeait, se diluait.
Personne ne pouvait s’occuper de l’ancêtre, la petite bohémienne qui guidait la vieille horse du mieux qu’elle le pouvait et qui adorait la vieille Mama était trop loin et trop attentionnée a ne pas faire verser la roulotte en une traîteuse ornière.
L’homme et la femme chacun cramponné à une roue poussant rayon après rayon, étaient complètement accaparés par l’effort.
Les gosses tout à harceler la pauvre bête.
La misérable roulotte de pas en pas, de trébuchement en trébuchement devenait hors de vue, dissoute absorbée par les franges de brouillard vêtant l’obscurité.
La vague forme presque irréel de cette vieille, tenant en sa main aux doigts décharnée sa canne faite d’un vulgaire bâton de robinier, de l’autre un menu bouquet de laurier et bruyère, se fondait entre boue du chemin, obscurité de la nuit, brouillard des marais et lassitude.
Quelques taillis aux griffes acérées d’épineux ou de ronces, lacéraient les misérables guenilles.
Le bâton tenu d’une main tremblante cherchait vainement l’ornière laissée dans le noir par la roulotte, mais plus de laurier ni bruyère, rien que boue, roseaux s’enchevêtrant autour de l’aïeule, comme pour l’agripper, l’empoigner, la ravir de ce Monde miséreux qu’elle avait tant parcouru.
Toutes ces lignes de mains d’où elle avait débusqué tant de fois le Destin de Gadjé, tout cela sans avoir le droit de connaître le sien.
Les bohémiennes peuvent lire le Destin des autres mais n’ont pas le droit de connaître le leur.
Les branches des arbres comme de grands bras émergeants du néant de l’obscurité cherchaient comme à la happée.
« Viens !… Viens !… » Murmurait le vent dans les roseaux.
Alors la vieille comprit que le grand rendez-vous était tout proche.
Une traîteuse racine surgit là devant elle d’ont ne sait où, l’empoignant par un pied la précipite lâchant bâton et amulettes dans la vase du bord du marais.
Enfin ! Ah Enfin ! Elle va pouvoir se reposer !
Le sommeil commence à l’engourdir, pendant que les images de sa pauvre vie se sublimisent, se volatilisent doucement en elle.
Tout s’obscurcit lentement, insensiblement.
Puis une image s’illumine, c’est celle de sa petite fille, sa préférée.
La Mama lui fait un sourire avant de s’endormir.
La roulotte est enfin arrivée là où depuis des générations on vient poser le campement à cette saison.
Saison de la confection de paniers d’osier.
Sitôt le feux allumé entre trois quatre pierres, le chaudron suspendu avec son maigre brouet, pendant que les autres s’occupent de la pitoyable horse et des derniers préparatifs, la jeune bohémienne, prend une vieille lampe tempête et coure dans le noir au devant de l’Ancêtre, sa Mama qu’elle adore.
La nuit est noire sans Lune, tout n’est que noir et boue.
Le chemin est devenu invisible.
Faut faire très attention! Les bords du marais sont tout proches. On ne les distingue pas sinon que les deviner.
« Mama ! Mama ! » Que le bruissement du vent dans les roseaux, le croassement de quelques grenouilles, le hululement d’une chouette.
Toute la nuit petite gitane en pleurant appelle Mama.
Que vent, chagrin, chouette, grenouilles, qui répondent.
L’aube commence à poindre.
On commence à distinguer les ornières de la roulotte.
De la boue, de la bruyère, ces menues fleurs que sa Mama révérait, des roseaux, le bord du marais avec ses eaux semblant dormir tout commence à prendre forme.
Et là, tout au bord, le bâton de Mama, deux pas plus loin ses petits sachets d’amulettes, quelques herbes sauvages ou quelque colifichets et un menu bouquet de fleurs de laurier, trois brins de bruyère.
Petite Gitane les ramasse entre deux sanglots.
Un bruissement ! Là ! Dans les roseaux ! « Mama ! »
Un héron s’envole dans le jour naissant !
« C’est le héron qui est là-bas ? Dit ? »
Pierre.
Comment by 10Douze27 — 5 juillet 2014 @ 11:19
De ma fenêtre, mon regard s’attarde sur la douce valse que semblaient danser les feuilles des arbres, caressés par un doux vent de juillet. Le ciel, mi-figue mi-raisin, laissait présager l’arrivée prochaine de la pluie.
Marc écoute le concerto pou piano de Brahms. Encore. Je ne vois pas ce qu’il lui trouve de si particulier à ce Brahms qui semble s’être installé pour de bon dans notre vie. Comme un amant indésirable qui m’étouffe de sa présence, chaque jour. De la voiture jusqu’à la tranquillité matinale de mes dimanches. Marc, lui, semble ailleurs. Dans un état second.
J’entends Rose chanter dans sa chambre en préparant ses affaires. Je dois la conduire chez ma mère. À la campagne. Depuis Noël que ces deux-là ne se sont pas serrées l’une contre l’autre. Toujours le même rituel. Suivi des mêmes mots. Il y aura du « que tu es jolie », du « tu grandis tellement vite » et du « je t’aime grand-mère »… Parfois j’ai même l’impression que je suis de trop dans leur complicité… Qu’elles souhaitent que je parte. Vite. Pour profiter l’une de l’autre.
Puis, le chemin de retour. Marc. Ce connard de Brahms. Le silence. Le vide. Que seuls mes larmes et mes souvenirs d’une enfance tendre et heureuse arrivent à combler. Un peu.
Comment by Armando — 6 juillet 2014 @ 5:47