En vos mots 277
À l’occasion du dernier dimanche de juillet, j’ai invité la bibliothécaire de l’illustrateur Levi Hastings à se joindre à nous. Elle a sûrement beaucoup d’anecdotes à nous raconter! Laquelle de celles-ci choisirez-vous de nous raconter? Préférez-vous nous parler d’elle ou même d’une bibliothécaire de votre entourage?
Libre à vous d’exploiter comme il vous plaira l’aquarelle de ce dimanche. Tant que vous le faites en vos mots, comme le veut l’habitude instaurée il y a plus de cinq ans au pays de Lali.
N’oubliez pas de lire les textes inspirés par les illustrations de la semaine dernière. Ça vous permettra de patienter jusqu’à dimanche prochain, moment où seront validés les commentaires sur celle d’aujourd’hui.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous!
À la soirée en l’honneur de la baronne, se présentèrent nombre de nobles et de personnes en vue, le sourire aux lèvres, bien habillés, l’esprit aiguisé, la fleur de la ville et de ses environs.
Vous auriez vu cela : ce n’étaient qu’élégance et toilettes à la dernière mode. Les hommes assortis à leur amie, charmantes compagnies, petits corsages sur pièces montées, cheveux poudrés, relevés au plus haut, ornés de rubans.
Chacun en était à ses admirations, compliments et salutations, lorsqu’on vit entrer…
Et tous en restèrent bouche bée, les conversations se taisant petit à petit…
Lorsqu’on vit entrer une tenue inattendue.
Oui oui, une tenue. Pensez : les gens ne songèrent pas immédiatement à regarder le visage de sa propriétaire, non… Le vêtement était si incroyable. Les gants sobres, les manches délicates d’un bleu-gris uni… Mais en dessous, une jupe gonflée, énorme… de livres. Des ouvrages bien rangés, ordonnés de telle manière que chaque niveau était d’une couleur unique, composé de couvertures aux tons assortis, et se mariant parfaitement avec les étages qui l’entouraient. Des livres ouverts, les pages bien lissées évoquant des jupons de papier… Et l’étrange apparition tenait en plus un ouvrage en main. Un livre sobre mais relié de cuir, qu’elle ne lisait pas en cet instant, certes, mais tout de même : depuis quand entrait-on à une fête avec sa lecture en main? Peu à peu, les regards interloqués remontèrent de la jupe formidable au visage, les invités reprenant leurs esprits et se demandant : « Mais qui est-ce donc, la connaît-on? »
Un petit visage aux traits fins, les yeux déterminés, mais elle souriait d’un air un peu gêné. Nul ne la connaissait, chacun pensait que son voisin en saurait peut-être plus. Les regards se tournèrent interrogateurs vers la baronne qui ne se souvenait pas de l’avoir invitée, mais qui garda contenance et sourit : « Bienvenue, ma chère! Joignez-vous à nous et amusez-vous. » Le coup d’envoi était lancé : les voix se délièrent, les conversations reprirent, la demoiselle fut entourée de plusieurs curieux. La baronne, férue d’érudition et de livres, ne se connaissant pas d’ennemi par ailleurs, était ravie de ce coup de publicité à son image de lectrice instruite. Et la soirée fut merveilleuse.
Chacun voulait toucher la jupe, voir si les livres étaient réels, savoir pourquoi, apprendre comment… Elle, avec des gestes charmants, repoussait les mains des curieux, craignant pour ses pages. Le mystère autour d’elle s’épaississait. Les livres semblaient réellement imprimés, mais nul ne pouvait savoir quelles étaient les lectures qui faisaient d’une jeune fille une telle beauté, lui donnant une telle parure.
Personne ne fit attention au jeune domestique qui avait reçu un coup de foudre en voyant cette drôle de demoiselle. Il voulait lui parler mais, entre son service qui se devait d’être impeccable et le groupe de curieux qui ne diminuait pas autour de la robe, il n’y parvenait pas. Ce fut assez tard dans la soirée qu’il trouva son occasion. Un jeune homme la bouscula malencontreusement, et le fil fragilisé qui retenait l’un des livres céda, laissant échapper le volume. La belle, déjà un peu lasse de tant d’attentions et de questions, n’y tint plus et se sentit défaillir. Elle fut rattrapée de justesse par le domestique qui passait près d’elle, et qui l’emmena prendre l’air frais sur la terrasse.
Il répara la jupe à l’aide d’une soie plus solide qui se trouvait fort opportunément dans sa poche.
« Voyez-vous, Madame la Baronne est fort aimable, charmante et instruite; elle a cependant le défaut d’être un peu maladroite. Je ne l’en blâme pas, et elle-même s’en amuse, mais il ne se passe pas deux jours sans qu’une jupe se déchire. Alors à force, vous comprenez, j’ai ce qu’il faut avec moi… »
La demoiselle se mit à rire, son malaise soudainement se dissipa. Le domestique, heureux de cet effet, continua de décrire avec force gestes et imitations Madame la Baronne et sa maisonnée, domestiques y compris, pour le plus grand amusement de sa belle. Ce fut alors qu’elle lui confia : « Vous êtes doué! Tous ces hommes bien nés et bien instruits, qui me tournent autour en essayant de voir mes livres, en imaginant que je me délecterai des phrases de philosophes et de grands esprits… Ils sont tellement lassants! C’est bien pour ça que je suis venue avec ce livre en main. Quand une soirée m’ennuie, je lis quelques contes, de ces vieilles histoires aux mots sincères. Mais avec vous, je n’en ressens pas le besoin. »
Cette histoire, je n’en connais pas la suite : c’est le domestique qui me l’a racontée, et leurs paroles de cette soirée n’appartiennent qu’à eux. Je sais seulement qu’ils se sont mariés pour leur plus grand bonheur. Et je me suis laissé dire qu’il fut le seul à avoir accédé au carnet aux pages blanches qui ornait le corsage du côté de son coeur.
Comment by Milie — 31 juillet 2012 @ 9:21
Madame de*** lit l’Encyclopédie. Madame de*** aime l’Encyclopédie et ses Encylopédistes le lui rendent bien. Madame de*** commandite une imprimerie à elle toute seule. Madame de***, selon le voeu de son mari défunt, a une bibliothèque qui fait rêver, en leur hôtel particulier de la chaussée d’Antin. Madame de*** ouvre les portes-fenêtres de la bibliothèque qui donne sur le parc. Elle passe la porte, et avec elle, son amie, Sophie, Sophie, la libraire, toujours à l’aise dans Paris, Paris en liberté, entre dans le Royaume enchanté…
Comment by Pivoine — 31 juillet 2012 @ 19:10
Elle n’aimait pas paraître en société. Et c’était peu dire.
Certes elle appréciait le faste, mais celui des livres.
Elle eût volontiers tenu la vedette devant une foule. Mais alors en héroïne de roman.
La vraie vie l’effrayait. Se manifester devant un public était pour elle un supplice.
C’était une situation qu’elle évitait catégoriquement.
Alors, qu’allait-elle faire, maintenant qu’on lui avait demandé de lire un texte devant l’assemblée des lecteurs de la bibliothèque?
Oh mais rien de très spécial!
Cela faisait si longtemps qu’elle se cachait derrière les volumes, entre les colonnes de bouquins.
Elle avait même commencé à se vêtir de couvertures de livres, afin de passer plus inaperçu.
Tout l’art était de les choisir pas trop voyants, et donc ni trop neufs ni trop usagés, pour que le dessein de dissimulation soit atteint, pas le contraire.
Elle se couvrirait donc pour l’occasion de cette robe qu’elle s’occupait depuis si longtemps à confectionner dans la perspective qu’un jour elle ne puisse se soustraire à l’une ou l’autre festivité.
Toutes les jaquettes en étaient bleues et mauves. Un camaïeu de bleu et mauve qu’elle s’affairait patiemment à assembler.
Bien sûr, cela n’était qu’un partie de solution au problème. Elle serait bien devenue elle-même livre si elle l’avait pu. Pour ne pas avoir à montrer son visage.
Mais qu’à cela ne tienne. Elle piquerait du nez si bien dans celui dont elle devait lire l’extrait, que ce serait comme si parlait de lui-même l’ouvrage.
Comment by Anémone — 2 août 2012 @ 9:06
UNE JUPE QUI A DU POIDS
Si j’ai bien compté, cette jupette pèse plus de 150 livres.
La dame les a presque tous lus.
Certains font dans la dentelle et de fil en aiguille, malgré certains cousus de fil blanc, elle est passée au travers.
Elle est rendue à ceux de taille, c’est-à-dire ceux de poésies et de nouvelles qui ont heureusement évité les paniers.
Lorsqu’elle aura terminé d’en découdre avec cette lourde charge, je me demande si elle tirera une plume de sa jolie coiffure pour écrire quelques critiques mais aussi jeter le gant au PCC.
Comment by Flairjoy — 4 août 2012 @ 7:56
Je l’ai toujours pensé. Je l’ai toujours dit. Il était fou. J’entendais ici et là certains me dire qu’il était original. Excentrique. Extravagant. Mais pour moi il n’était que fou. Un pion perdu au milieu de ce grand tablier d’échecs mondain où de vieilles dames racontent, à quelques pédérastes de passage, un verre de sherry à la main, leurs souvenirs, pour satisfaire ce qui leur reste de libido.
Cette fois-ci, il avait parcouru la bibliothèque d’une de ces anciennes reines, et pour son dernier éclat avait pris quelques œuvres au hasard pour faire la robe qui allait éblouir la nuit mondaine, ignorant la valeur du mot écrit qui avait traversé les siècles, pour mourir percé par quelques aiguilles.
J’étais en colère. J’étais le seul en colère. Tous me regardaient comme si j’étais l’étrange parmi eux. Une sorte de chevalier poussiéreux venant du fond des âges pour rassasier leur volonté d’inutile. Je m’apprêtais à tout faire sauter lorsque les lèvres de Sarah sont venues me réveiller. Sans le savoir elle leur a sauvé la vie. Mais ils viendront encore trainer dans mes rêves…
Comment by Armando — 5 août 2012 @ 0:00
Quand on annonça à Miss Betty Books que bientôt tous les livres papiers seraient remplacés par de petits écrans plats, pas une de ses dix mille feuilles ne tressaillit:
– Pff! fit-elle en tournant d’un seul mouvement du pouce gauche la page qu’elle venait de terminer, ce qui lui permettait de garder la main droite sur le prochain livre qu’elle avait déjà sélectionné.
Voilà tout l’effet que cette nouvelle lui produisit.
Un jour, il y a bien longtemps, on lui avait dit aussi que les coiffures à la Marie-Antoinette étaient passées de mode et que plus personne ne portait de jupes longues ni de gants montants:
– Pff! avait-elle fait aussi cette fois-là, en tournant la page de son livre.
Comment by Adrienne — 5 août 2012 @ 2:25