Poésies des femmes 11
Va-t’en, cruel amour
Tout sera si divin, en cette heure sans bruit,
Si beau, si doux, si grand dans cette ombre profonde,
Que je verrai planer mon ombre sur le monde,
Et mon rêve éperdu tourmentera la nuit.
Je sais que tu viendras; tu ouvriras ma porte,
Des rayons de soleil, des souffles de printemps
Glisseront radieux de tes bras palpitants,
Et je resterai là, brisée, à demi morte.
Pourtant, ce soir, j’ai peur de ta réalité,
De ta bouche, tes yeux, de tes pas dans ma chambre,
Et mon cœur, fièrement, se révolte, se cambre
Contre ton lourd empire en mon être indompté.
Tu viendras, tu seras l’heure, l’extase brève
Éclose dans les fleurs des jardins embaumés;
Tu viendras, vous viendrez, lèvres, regards aimés…
Mais j’aime mieux l’attente et j’aime mieux mon rêve.
Éva Senécal
(dans Anthologie de la poésie des femmes au Québec des origines à nos jours de Nicole Brossard et Lisette Girouard)
*choix de la lectrice de Judith Sandala