
Pour la première fois, depuis cinq ans, j’ai parcouru les allées du Salon du livre de Montréal sans Lucie.
Je ne savais pas il y a un an que ce serait la dernière fois, Lucie était tellement certaine qu’elle allait déjouer toutes les statistiques. Deux mois plus tôt, on lui avait retiré une tumeur au cerveau d’une taille impressionnante et dans les semaines qui ont suivi son opération, je l’avais accompagnée à sa première séance de radiothérapie.
Nous n’avons jamais cessé d’aller au théâtre, de cuisiner ensemble, d’avoir de longues conversations sur la vie, la littérature, la musique, l’amour, les voyages. Mais nous ne parlions pas de la mort. Ce n’était pas une éventualité. Jusqu’en août. Son oncologue a alors choisi d’entamer une nouvelle chimiothérapie afin de venir à bout de l’enflure d’une partie du cerveau qui comprimait celle qui permet de lire, d’écrire, de s’exprimer verbalement.
Les mots échappaient désormais à Lucie, et ce, de plus en plus, alors qu’elle saisissait tout et que sa pensée était toujours aussi claire et ordonnée. La tumeur était revenue, malgré la nouvelle chimiothérapie. Il n’y avait plus rien à faire.
On a mangé de la poutine. On a ri. On a fait comme si on avait encore toute la vie devant nous. Pas juste moi, mais toutes les deux.
Lucie a rejoint les étoiles le 31 octobre, après 14 mois à se battre courageusement, et veille désormais sur ceux qu’elle aimait et qui l’aimaient.
Et vendredi, il me semble l’avoir vue dans une allée, dans l’escalier, en train de discuter avec un éditeur, ou carrément absorbée par un quatrième de couverture.
Oui, elle était sûrement là, elle qui aimait tant les livres avant que les mots lui faussent compagnie.
Elle qui aimait tant la musique, la vie. Elle qui était si fière de ses enfants.
Elle était là. pas loin.
Elle n’est jamais bien loin.
Ne le sera jamais.
*toile de Katarzyna Oronska