Voix de la Méditerranée 19
Éthique
J’arrive devant la mer, ses vagues,
les marées que septembre courrouce, les gris
et les bleus qui alternent avec d’étranges verts;
une voix traite de la folie, ou du regard vide
des poissons, ou d’un thème aussi desséché que les algues
à marée basse; un vent a parcouru la plage,
dans le silence du soir, restituant au corps des eaux
une unité ancienne. La mer, cependant, suppose
qu’on l’oublie. Dans ses profondeurs, dorment les images
que le sommeil ne conserve plus; des bras qui s’agrippent
aux mâts du naufrage. Un navire abstrait
est passé lentement sur l’horizon que le matin n’a pas vu,
pénétrant de l’autre côté de la terre, par instants
oublié par la musique des ports. Le poème, m’a-t-on dit,
a ignoré cette distraction : il a traversé
la limite de l’éternité, s’est vêtu de mots
nocturnes, a laissé la mort le contaminer.
En bord de mer, je ne m’aperçois de rien; et je le dis,
lentement, répétant à voix basse
toutes ses contradictions.
Nuno Júdice
(dans Les poètes de la Méditerranée)
*choix de la lectrice de GeriLou Smith