« Et chaque silence est une musique à l’état de gestation » pourrait en une seule phrase résumer le plus récent roman de Mia Couto, l’une des voix les plus intéressantes de la littérature contemporaine, lequel réinvente le monde et la langue à chacun de ses livres.
Cette fois-ci, il nous entraîne dans une zone retranchée du monde des vivants, où se sont exilés le veuf Silvestre Vitalício, son beau-frère, un militaire et les deux fils de Silvestre, Ntunzi et Mwanito. Or, si quatre personnages sur cinq ont des souvenirs de ce qu’était leur vie avant l’exil, de la disparue, de cette ville où ils vivaient, Mwanito, parachuté très jeune dans ce no man’s land, n’en a pas.
Silvestre s’est installé là pour des raisons obscures, où il est question de mort et de morts, ainsi que de la fine limite qui sépare le monde des vivants de celui des morts. Peut-être voulait-il protéger les siens. Peut-être voulait-il mourir à son tour maintenant qu’est morte celle qu’il a (peut-être) tuée et autour de laquelle le roman se déroule comme une longue écharpe ne dénudant jamais entièrement le corps qu’elle dissimule. Peut-être cherchait-il là, dans ce lieu hors du monde, comment apprendre à vivre autrement, sans mémoire, dans l’oubli total et dans l’absence de mots, puisqu’il interdit à Mwanito la lecture et l’écriture. Mais c’est compter sans la complicité et l’amour de son aîné qui se chargera de transmettre au plus jeune son savoir, ses souvenirs et ses images, et d’en inventer au besoin quand ils commenceront à s’effriter.
« Nous ne vivons pas vraiment durant la majeure partie de notre vie. Nous nous consumons dans une longue léthargie, que, pour nous leurrer et nous réconforter nous-mêmes, nous appelons existence », raconte Mwanito qui a appris à accorder les silences pour qu’ils ne troublent plus personne, en particulier son père. « Chaque jour est une feuille que tu déchires, je suis le papier qui attend ta main, la lettre qui attend la caresse de tes yeux », écrit-il aussi alors qu’il tente de comprendre la vie, le destin, ce lieu que son père a choisi, et de deviner à quoi ressemblent les femmes, jusqu’à ce que l’une d’elles s’aventure dans cette contrée et bouleverse la vie de chacun.
Une fois de plus, Mia Couto signe un livre émouvant, doont chaque chapitre s’ouvre sur un poème ou une phrase, ce qui nous donne le plaisir de (re)lire la grande poète Sophia de Mello Breyner Andresen et, en ce qui e concerne, de faire connaissance avec Adelia Prado. Un roman entre le conte et le roman, autour des racines, celles qui nous ancrent dans notre terre natale, celles que nous devons déployer pour (sur)vivre. Parce que : « Ce n’est pas en lui tenant les ailes qu’on aide un oiseau à voler. L’oiseau vole simplement parce qu’on l’a laissé être oiseau. »
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