Le livre ouvert sur la table, la tasse de café à portée de main, je pense soudainement à elle. Probablement à cause de toutes ces photos de Bretagne étalées ici et parce que la dernière conversation que nous avons eue, alors qu’elle rentrait d’un voyage là-bas pour lequel je lui avais apporté mon aide, a tourné au vinaigre. Je n’étais pas assez présente. Je ne l’appelais pas assez souvent. Personne ne l’aimait. Elle était toujours toute seule. Elle ne connaissait personne. Ou ceux qu’elle connaissait n’avaient pas de temps pour elle. La litanie habituelle de ceux et celles qui font tout pour qu’on finisse par se lasser d’eux.
Elle allait de l’un à l’autre, parce qu’elle vidait les gens de leur énergie au fur et à mesure. Elle mettait tellement de temps à énumérer ses problèmes, tous ces désagréments avec lequel tout un chacun vit sans en faire un drame, qu’ils prenaient tout son temps. Elle ne faisait que penser à sa collègue qui, à son voisin que, à son patron qui, à son père que…
Elle ne regardait jamais le ciel. Ni les nuages. Ni les fleurs. La musique la fatiguait. Les livres la fatiguaient. Marcher la fatiguait. Vivre ici, qui était le troisième pays où elle vivait, la fatiguait. Même sa fille qu’elle avait abandonnée pour aller vivre sa vie ailleurs alors qu’elle n’avait pas dix ans la fatiguait parce qu’elle ne voulait plus l’écouter.
Bien entendu que le problème ne pouvait venir d’elle. Bien entendu.
Et moi, j’étais fatiguée. Fatiguée des doléances en continu. Des reproches. De cette espèce de procès, parce que je ne vivais pas ma solitude avec son mal de vivre à elle.
Je n’ai plus répondu à ses appels téléphoniques, pas même le dernier avant qu’elle ne rentre en France, en ayant fini avec ce pays où personne ne la comprenait, et je n’ai plus répondu à aucun courriel. Une autre page de ma carrière d’aidante venait de se tourner. Mais d’autres viendraient. J’ai longtemps été incorrigible.
*sur une toile de Mikhail Shkanin