Le monde irrémédiablement désert de Saint-Denys Garneau
La lectrice de Tadeusz Adjukewicz a trouvé sur la table l’anthologie intitulée La poésie québécoise qu’une lectrice a laissé là il y a déjà un mois. Et c’est sur ce poème d’Hector de Saint-Denys Garneau qu’elle s’est longuement attardée :
Monde irrémédiablement désert
Dans ma main
Le bout cassé de tous les chemins
Quand est-ce qu’on a laissé tomber les amarres
Comment est-ce qu’on a perdu tous les chemins
La distance infranchissable
Ponts rompus
Chemins perdus
Dans le bas du ciel, cent visages
Impossibles à voir
La lumière interrompue d’ici là
Un grand couteau d’ombre
Passe au milieu de mes regards
De ce lieu délié
Quel appel de bras tendus
Se perd dans l’air infranchissable
La mémoire qu’on interroge
A de lourd rideaux aux fenêtres
Pourquoi lui demander rien?
L’ombre des absents est sans voix
Et se confond maintenant avec les murs
De la chambre vide.
Où sont les ponts les chemins les portes
Les paroles ne portent pas
La voix ne porte pas
Vais-je m’élancer sur un fil incertain
Sur un fil imaginaire tendu dans l’ombre
Trouver peut-être les visages tournés
Et me heurter d’un grand coup sourd
Contre l’absence
Les ponts rompus
Chemins coupés
Le commencement de toutes présences
Le premier pas de toute compagnie
Gît cassé dans ma main.