Elles sont fascinantes, ces femmes, mes amies, avec leurs histoires. Toujours en train de calculer le geste, le risque de faux pas, la distance pour LE gagner et l’erreur à ne pas commettre. De véritables mathématiciennes avec leurs équations compliquées et leurs extrapolations dignes du plus grand statisticien. À battre des cils, à minauder, à jouer. Mais n’allez surtout pas leur dire qu’au nom d’un mot doux ou d’un câlin, elles gomment leur personnalité pour s’effacer au profit du mieux-être du monsieur à conquérir.
Oui, je les regarde aller, ahurie. Pourtant, je les vois agir depuis des années. Se faire allonger les cheveux parce que le prétendant préfère. Devenir végétarienne parce que monsieur l’est. Écouter du jazz parce que l’homme du jour en raffole alors qu’elles ont toujours détesté ça. Ne plus se maquiller parce que, paraît-il, ça fait trop Barbie pour celui qui aime les filles naturelles. Attendre qu’il rentre – très tard – pour souper alors qu’elles meurent de faim. Et des meilleures, et j’en passe.
Elles viendront me dire que j’ai tout faux si je passe une remarque sur leurs gestes, il va de soi. Elles me diront que je n’ai pas compris, qu’il faut s’intéresser aux activités de celui qu’on aime – ou dont on voudrait se faire aimer – et que c’est ce qu’elles font. Devenir leur ombre aussi, je suppose, mais chut, elles vont sortir leurs griffes et me dire qu’avec un raisonnement comme le mien, pas étonnant que personne ne veuille de moi. Et c’est reparti. J’ai beau leur dire que ce n’est pas devenir une autre que moi que je veux, elles trouveront toujours à redire.
Elles sont fascinantes, vous dis-je. Et qu’après elles s’étonnent de se faire embobiner alors qu’elles gobent tout. Non mais. Et je devrais me taire? Ne pas leur dire que je ne les reconnais plus? Et leur rappeler qu’avant l’arrivée du prince charmant, elles aimaient les comédies romantiques? Le trekkiste de leur vie le leur a fait oublier! Leur dire tout bas qu’il n’y a pas si longtemps elles aimaient lire au lit? Que non, monsieur ne supporte pas une lampe de chevet si lui a décidé de dormir. Mais où ai-je la tête?
Je les regarde aller, courber le dos pour une caresse. De jolis animaux de compagnie. Elles tendent même la laisse au maître. Elles ne sont pas fascinantes, elles sont pathétiques.
Je suis à peine cynique, si ce mot s’applique ici. Et plus ça va, plus je me tais. À quoi bon? Elles sont tombées dans la potion magique du plaire-à-n’importe-quel-prix. Et j’ai compris: je ne possède pas l’antidote. Le réveil sera brutal et bien entendu, entre deux hommes de leur vie, elles reviendront trouver mon oreille et me dire plus jamais. Jusqu’au prochain. Et vogue le navire.